Plus d'un millier de personnes a été auditionné, quelque trois années d'investigations et d'enquête, des centaines d'agents ont été mobilisés pour aboutir à l'inculpation de 104 personnes dans le plus grand procès qu'a connu l'Algérie indépendante. Il s'agit, bien sûr, de l'affaire Khalifa dont le préjudice dépasse les 7 700 milliards de centimes, à en croire les révélations faites lors du procès qui a duré plus de deux mois devant le tribunal criminel près la cour de Blida. Au bout de ce procès des inculpations, des acquittements mais beaucoup de zones d'ombre. La justice n'a pas pu déterminer où sont passés les 7 700milliards de centimes volatilisés d'El Khalifa Bank ! Elle a eu, en revanche, le mérite de mettre à nu les défaillances et les complicités à tous les niveaux de l'Etat algérien ayant permis au jeune Abdelmoumene, la trentaine à peine, de duper des centaines de milliers d'Algériens. La justice a également permis au simple spectateur d'assister au procès de toutes les institutions de l'Etat : la Banque d'Algérie et ses différents services, le ministère des Finances dont le premier responsable de l'époque a avoué son manque d'intelligence, le Trésor public dont l'agent judiciaire a comptabilisé la sortie de tous les fonds des entreprises publiques (des milliers de milliards des OPGI, de mutuelles et CNAS) vers El Khalifa Bank sans lever le moindre doigt ou encore l'éclaboussement du monde sportif et celui de l'UGTA dont le premier responsable a assumé un faux devant un tribunal criminel sans jamais être inquiété. Le procès a également permis de connaître les noms de ces hauts cadres de l'Etat, témoins lors du procès ou dont le nom a été évoqué, qui avaient bénéficié des largesses de Abdelmoumene Khalifa (Master Card, véhicules ou autres). Les fonctionnaires de rang inférieur inculpés n'arrivaient pas à comprendre la raison de leur présence devant la justice. «Abdelmoumene Khalifa était vénéré à son époque. Il était reçu dans les plus hauts cercles de ce pays. Tout le monde le savait. Pour quelle raison on nous juge aujourd'hui ?» s'étaient demandés ces fonctionnaires. Et ce n'est pas à tort que cette question est posée puisqu'il faut dire que Abdelmoumene Khalifa, après avoir créé sa banque, a commencé à ériger son empire. Au vu et au su de tout le monde. Une compagnie aérienne et dix autres entreprises ont vu le jour et personne ne se posait la question d'où pouvait provenir autant de liquidités. Le procès de Abdelmoumene Khalifa a laissé beaucoup de questions en suspens. Non seulement par rapport à l'audition à la barre des inculpés et des témoins mais aussi avec l'absence de certaines personnes pouvant éclairer davantage le tribunal. Il est gardé, il faut le relever également, un sentiment d'inachevé de certaines auditions. A la fin du procès, le procureur général avait dit : «Le juge d'instruction a fait ce qu'il a pu. J'ai fait ce que j'ai pu […] C'est grâce à la citation du juge d'instruction que des ministres et hauts cadres ont été entendus devant ce tribunal pour que la vérité éclate, il ne faut pas l'oublier. Peut-il y avoir une plus grande transparence ? Encouragez de pareilles initiatives et battons-nous pour l'indépendance de la justice.» Un aveu ? L'homme qui a pris à bras-le-corps durant plus de trois années le dossier Khalifa se répétera dans l'espoir que son message serait compris : «Ne brisez pas notre volonté.» Autrement dit, le déroulement du procès Khalifa est une avancée pour la justice algérienne qui a décidé de se battre pour l'extradition de Abdelmoumene Khalifa. La justice britannique devra se prononcer dans quelques jours sur la demande algérienne d'extradition. Si elle est acceptée, le principal inculpé pourra, peut-être, éclairer davantage l'opinion publique sur cette affaire qui a éclaboussé tout un Etat. Surtout que Abdelmoumene Khalifa, depuis l'Angleterre où il a trouvé refuge avant d'être arrêté, a refusé de prendre seul la responsabilité d'une telle catastrophe économique et a promis des révélations fracassantes. Affaire à suivre. H. Y.