Le procès s'est ouvert en milieu de matinée avec une remarque faite par Me Boulefrad à propos du document lu par le procureur général concernant Menad Mustapha et Bennaceur Abdelmadjid, respectivement directeur financier et directeur général de la Cnas. La présidente informe que la lettre en question était une lettre adressée au tribunal criminel, mais une fois ouverte, son auteur l'a écrite au procureur général près la cour de Blida, ce qui l'a poussé à la lui remettre à titre d'information et non dans le but d'en faire usage. Il ne m'a pas informé qu'il allait l'utiliser dans son réquisitoire. C'est pour cela que je l'ai interrompu pour lui faire la remarque. J'ai reçu des milliers de lettres anonymes que j'ai lues du fait qu'elles m'ont été adressées et qui faisaient état de tout. Il y en avait même une écrite par un citoyen qui habite dans une baraque au parc de Birkhadem et qui me demandait un logement. Je rends des jugements, mais je ne peux donner de logements. Le document relatif à Bennaceur et Menad sera remis uniquement aux avocats de ces derniers, mais en espérant qu'il soit mis de côté. » L'incident est clos. LE JUGE PERD SON RÔLE Les avocats décident de commencer les plaidoiries pour les accusés poursuivis pour des délits. Le premier groupe qui passe est celui pour lequel le procureur général a requis 18 mois de prison. C'est Me Zeghimi Mustapha qui plaide le premier. Défendant Boulefrad Bouabdellah, PDG de l'usine de production de bière d'Oran, contre lequel le procureur général a requis 2 ans de prison, assortie d'une amende de 5000 DA et de la privation des droits civiques, l'avocat commence par affirmer que la société de son mandant est à but lucratif. Elle était destinée à la privatisation et à ce titre interdite d'investissement. Ce qui l'a poussé à placer son excédent de trésorerie pour en tirer profit. L'accusé installe une commission chargée de prospecter les meilleurs taux d'intérêts auprès des banques et décide d'ailleurs d'effectuer le premier dépôt à la Badr, puis à Khalifa, pour revenir une seconde fois à la Badr, avant de se fixer sur El Khalifa Bank. Pour l'avocat, les trois commissions versées par l'agence Khalifa d'Oran, au responsable de l'entreprise, n'obéissent à aucune logique. Il relève que Guers Hakim, directeur de cette agence, n'a même pas reconnu Boulefrad Abdelwahab lors de la confrontation devant le juge, en le confondant avec le directeur général de l'OPGI d'Oran. « N'est-ce pas une preuve que Guers n'a jamais connu mon mandant ? » Le juge a perdu son rôle. Au lieu d'instruire et de mener des investigations, il n'a fait qu'écouter et rapporter les propos. La Cour suprême a de son côté surpris par la célérité avec laquelle elle a rejeté les pourvois, avant même que le mémoire ne soit déposé. « Lorsque celle-ci viole la loi, que nous reste-t-il, sinon Dieu pour prier », déclare Me Zeghimi, qui affirme que les accusations de corruption, d'abus d'autorité et de perception d'indus avantages ne reposent sur aucun fondement et qu'à ce titre, son mandant est innocent. Plaidant également l'innocence de Lahlou Toufik contre lequel une peine de 18 mois de prison a été requise par le parquet général, Me Dahmane Hacène affirme que l'accusé qui était chauffeur à Khalifa Construction avait aidé à la restitution de tous les véhicules de l'entreprise au liquidateur. Néanmoins, comme il n'a pas été payé pour les plusieurs mois durant lesquels il a travaillé, il a utilisé son droit à la rétention en refusant de remettre une voiture jusqu'à ce que ses salaires soient honorés. Pour lui, aucun élément constitutif du délit de l'abus de confiance n'existe. Me Houari Abdelhali surprend plus d'un avec sa plaidoirie pour Ladjlat Lilya, présentée comme étant, jeune, ambitieuse, jolie, qui, espère-t-il, ne sera pas la cerise sur le gâteau Khalifa. Il indique que cette affaire ne peut être ordinaire du fait de ses répercussions à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Son mandant, juriste de formation, affirme-t-il, a été recrutée par Khalifa Airways, avant d'avoir la responsabilité de Khalifa Confection. A ce titre, elle bénéficie, comme tous les cadres, d'un véhicule de service et d'un chauffeur. « Qui ne rêvait pas à l'époque de voir ses enfants se faire recruter par Khalifa ? », lance-t-il à l'adresse du tribunal. Elle travaille, poursuit-il avec le liquidateur jusqu'au dépôt de bilan et sans aucun incident. La voiture reste au garage du chauffeur, parce qu'elle ne conduisait pas. Pour elle, elle était protégée. Le chauffeur tente à trois reprises de la remettre aux gendarmes, mais ces derniers ne la prennent pas. Deux mois, après avoir restitué le véhicule au liquidateur, elle apprend qu'une mise en demeure lui a été adressée. L'avocat note que c'est Khalifa Airways qui a remis le véhicule à son mandant et que, à ce titre, c'est au liquidateur de la compagnie que le véhicule doit être restitué. L'avocat rappelle le cas d'un responsable, dont il refuse de donner le nom, cité dans l'arrêt de renvoi et qui avait une voiture d'El Khalifa Bank, inscrite au nom de son fils, et qui n'a pas été poursuivi. La présidente lui fait remarquer que cette personne est actuellement devant la Cour suprême pour cette affaire. En fait, il s'agit du magistrat Benhouna, membre de la commission bancaire, qui aurait pris une voiture de Khalifa, mise au nom de son fils. Il a été déféré devant la Cour suprême du fait qu'en tant que magistrat de cette même institution, il bénéficie du privilège de juridiction. L'avocat reprend sa plaidoirie en relevant que les éléments constitutifs de l'abus de confiance contre sa cliente n'existent pas. Il demande tout simplement que l'accusée soit innocentée. Me Morsli Amine, avocat de Haddad Sid Ahmed, note que ce dernier, poursuivi pour abus de confiance pour n'avoir pas restitué un micro-ordinateur et un véhicule, ne pouvait remettre ces biens à n'importe qui. Il demande au tribunal de revenir au contexte de l'époque, où il y avait une anarchie et personne, selon lui, n'était habilité à recevoir les biens de Khalifa. LE CORRUPTEUR ET LE CORROMPU De ce fait, Haddad a préféré, déclare l'avocat, remettre la voiture à la police judiciaire. Son confrère, Me Mâarif Slimane, plaidant pour Thabet Lahbib, directeur financier de l'usine de bière d'Oran, pour lequel une peine de trois ans a été requise, avec privation des droits civiques, réfute catégoriquement les accusations de corruption, d'abus d'autorité et de perception d'indus avantages. Selon l'avocat, les commissions versées à la société ont été prises, d'après le directeur de l'agence d'Oran, par Baïchi Faouzi. C'est une affaire, dit-il, qui concerne l'agence d'Oran et pas les responsables de l'usine de bière. Me Mâarif provoque le rire dans la salle en disant que c'est le mot « sahbi » (mon ami), prononcé par Guers qui a mené son mandant tout droit vers le box des accusés. Le juge d'instruction a mal transcrit les propos des accusés, note-t-il, en affirmant être convaincu de la culpabilité de certains accusés, mais ce qui lui importe le plus est son client. Me Sedrati Mohamed, avocat de Saïd Bacha, directeur général de l'OPGI de Relizane, Ouaïd, directeur de l'unité de Relizane, et Berkat Benachir, directeur financier du même office, contre lesquels des peines respectives de 4 ans et 2 ans ont été requises, explique que ces derniers ont agi en tant que responsables d'une société commerciale pour effectuer des placements dans une banque agréée par l'Etat, en vertu d'une démarche politique du ministère de l'Habitat qui consiste à encourager la fructification des excédents de trésorerie par la construction de logements ou les placements. Il lève un point de droit intéressant en matière de corruption. La loi précise qu'il faut qu'il y ait un corrupteur et un corrompu. Or, dans l'affaire des commissions versées à l'OPGI après les dépôts, il n'y a que les responsables de ces offices qui sont poursuivis pour corruption. Guers Hakim, en tant que directeur de l'agence d'Oran, auteur des versements de ces commissions, n'est pas poursuivi pour corruption. « Qui a alors corrompu mes mandants ? », se demande l'avocat, avant de rejeter toutes les accusations. Me Abidi Lhadi, avocat de Bensatta Ali Tayeb, comptable de l'OPGI de Relizane, contre lequel le parquet général a requis deux ans, note que dans le dossier il n'y a que des suppositions de perception de commissions. Or, dit-il, la loi ne juge pas les suppositions. Remarquable et pertinente est la plaidoirie de Me Guettoune Bahia, plaidant au profit de l'ancien directeur d'Antinéa, Jean Bernard. D'emblée, elle se demande ce qu'elle faisait dans ce grave dossier d'El Khalifa Bank, elle qui défend un cadre supérieur de la compagnie auquel on reproche de ne pas avoir rendu un… micro portable. LA DEFERLANTE KHALIFA Elle fait un petit round-up sur le curriculum vitae de l'accusé qui, selon l'avocate, a toujours travaillé à Antinéa, une compagnie qu'il a lui-même montée, avec Idjerouiden, avant qu'elle ne soit rétrocédée à Abdelmoumen Khalifa avec le personnel. La présidente lui demande de s'exprimer en langue arabe, tel que prévu par la loi. L'avocate déclare qu'elle pourrait mieux s'expliquer en langue de Molière, mais la magistrate lui fait remarquer qu'elle peut utiliser le dialecte algérien. L'avocate hésite et raconte une anecdote qu'elle a vécue au tribunal d'El Harrach. « Je commençais à plaider en arabe dialectal et la magistrate m'a lancé : "Vous n'êtes pas à Dar sbitar (d'après La Grande Maison, livre de Mohammed Dib)". » C'est le fou rire dans la salle. L'avocate explique que Jean Bernard a continué à travailler avec Khalifa, mais toujours avec Antinéa, jusqu'au moment où Abdelmoumen l'a relevé de ses fonctions pour installer Medjahed. « La compagnie était gérée de l'extérieur par Abdelmoumen et, à voir seulement le nombre de responsables qui se sont succédé à sa tête, on comprend comment elle était prise en charge. Medjahed lui a alors demandé de restituer le micro. Il l'a rendu, mais dès que Djamel a été nommé à la tête de la compagnie, il lui a demandé de reprendre le travail en lui remettant un autre micro, un peu plus vétuste. Il prend sa retraite et tout le monde le remercie avant de partir, sans que personne ne lui dise de rendre le micro. Pensez-vous qu'un homme de l'envergure de Jean Bernard ait besoin d'un micro pour s'enrichir ? Il était le premier pilote à avoir un micro, avant même que ces derniers n'entrent en Algérie », note Me Guettoune. Elle déclare que la « déferlante » Khalifa a malheureusement pris tout avec elle. « Moi-même j'aurais été peut-être dans le box des accusés, parce qu'un jour j'ai fait une petite fête à la maison et j'ai reçu un plateau de baqlawa (gâteaux orientaux) de la part d'une responsable de Khalifa Airways. » La présidente : « Le dossier Khalifa Airways est en instruction. Le parquet général a entendu et il risque de mentionner cela. » L'avocate éclate de rire. Elle précise qu'elle a du mal à croire que Abdelmoumen ait agi vraiment seul pour tromper ces centaines de cadres, ces hauts responsables de l'Etat, ces ministres jusqu'aux accusés, sinon, ajoute-t-elle, « il faut vraiment lui reconnaître son génie ». Elle termine en exprimant son regret de « voir que les vrais coupables ne sont pas au box des accusés. Cela fait mal de voir certains payer pour les autres », conclut-elle. Me Dali Chaouche, plaidant pour Bourkaib Chafik contre lequel une peine de 18 mois a été requise, abonde dans le même sens, notant toutefois que son mandant travaillait pour Antinéa et, à ce titre, le micro portable ne doit être remis qu'à Abdelmoumen Khalifa, en vertu surtout de l'acte de cession de la compagnie à Abdelmoumen et qui stipule qu'en cas de liquidation tous les biens reviennent à ce dernier. L'avocat ajoute qu'en la matière il existe un liquidateur d'Antinéa, qui est lui aussi habilité, mais pas la banque qui n'a subi aucun préjudice. L'avocat,plaide également pour Sbiri Lhadi, un employé de KRC, auquel on reproche de ne pas avoir restitué un véhicule. Me Sahraoui, avocat de Tlemçani Mohamed Abbas, directeur de l'agence foncière de Aïn Temouchent, explique que les commissions versées à l'agence par l'agence Khalifa d'Oran ne sont que des écritures comptables, dont seul le responsable de l'agence est responsable. Me Mokri Omar, avocat de Meziane Bentahar Meziane, note que son mandant devrait être parmi les victimes de Khalifa. Me Allouche Zoubir, avocat de Bouamar Mahfoud, financier de l'Entreprise nationale de navigation aérienne (ENNA), s'est interrogé sur la responsabilité de ce dernier, alors qu'il n'a fait qu'exécuter un ordre de sa hiérarchie. Il affirme à propos des 5 billets dont il a bénéficié qu'ils lui ont été remis en 2001, alors que les placements ont été effectués en mars 2002. L'avocat indique qu'il y a une différence entre un avantage et un privilège. Me Allouche tient à apporter des précisions concernant les documents remis par le ministre des Finances, Mouard Medelci, au tribunal, après son audition en tant que témoin. Il affirme que parmi ces derniers il existe une lettre adressée au ministère de la Solidarité nationale, le 4 juin 2003, lui demandant de mettre fin aux subventions de l'ADS et aux placements à El Khalifa Bank. « Comment se fait-il que ce courrier soit transmis à cette date au moment où la banque était en liquidation ? Est-ce que cela voudrait dire que les dépôts se poursuivaient même après l'arrivée du liquidateur ? » Des interrogations assez pertinentes auxquelles s'ajoute cette question de savoir pourquoi le Trésor public ne s'est pas constitué partie civile dans cette affaire. La présidente lève l'audience pour une quinzaine de minutes et, à son retour, les avocats n'avaient pas encore préparé leur liste des plaidoiries. Elle sort de ses gonds et leur précise qu'elle a demandé cette liste depuis déjà trois semaines et il n'est plus question qu'elle accepte ce retard. Elle s'adresse aux agents de l'ordre public au sujet d'informations sur le refus d'accéder au tribunal affiché à l'égard de certains citoyens. « Le procès est public. Tous les citoyens ont le droit d'y assister s'il y a de la place, tant qu'il y a de la place dans la salle », dit-elle. Me Oukid Madjid, avocat de Belkacem Rabah, déclare que son mandant a restitué de son plein gré la voiture pour laquelle il est poursuivi et récuse les affirmations du procureur général, selon lesquelles le véhicule était en mauvais état. Me Douadj, avocat de Belekbir Mohamed Omar, affirme que ce dernier travaillait pour KRC, une entreprise qui existait bien avant El Khalifa Bank et qui était totalement indépendante. Il a bénéficié d'un véhicule de fonction et ne savait pas à qui le restituer après la crise. « Il l'avait même remis à Khalifa édition, mais les responsables ont refusé de le prendre. La seule erreur commise par mon client est peut-être d'avoir été négligent et de ne pas avoir insisté pour le restituer. » Me Hadj Ali Hakim, avocat de Miloudi Benyoucef, abonde dans le même sens. Les plaidoiries se sont poursuivies tard jusqu'en fin de journée, elles reprendront aujourd'hui.