Tout est paradoxal à Tissemsilt : des plaines ruisselant de fertilité autant que des piémonts abrupts, incultes et dénudés par endroits ; sa débine endémique autant que sa prétention d'être un ancien grenier d'Algérie. Tout y est en décadence patente : sa modeste industrie bricole dans le déclin et son agriculture agonise dans l'indifférence. Tout y est repoussant : des trottoirs défoncés tout comme son tissu urbain déstructuré ; des masures dégoulinantes autant que de vieillottes bâtisses, vestiges de l'ex-Vialar. Tout est pitoyable à Tissemsilt : ses écoliers aux nus pieds, ses fellahs au visage desséché, brûlés par la canicule, s'évertuant, contre vents et marées, à redonner vie à une terre plus que jamais ingrate. C'est tout cela Tissemsilt. L'ancien wali, Mokhtar Othmani, est parti, laissant derrière lui une wilaya complètement déshéritée. Le nouveau wali, Ahmed Adli, qui, dit-on, a laissé une bonne impression à Aïn Defla, hérite, par conséquent, d'une situation désastreuse. Pourra-t-il dynamiser une wilaya qui, faut-il le souligner, donne la triste image d'une région jamais administrée ? Sera-t-il en mesure de rattraper un retard de plus d'une génération ? M. Adli a entamé d'ores et déjà le diagnostic. Etat des lieux. Juchée au pied du mont de l'Ouarsenis, la wilaya de Tissemsilt s'étend sur une superficie de 3151,37 km2. Au nord, son relief est fortement boisé. Les montagnes occupent près de 65 % de la région. Le reste du territoire est constitué de 25 % de piémont et de 10% de plaines. Les terres cultivables occupent, selon les responsables de la wilaya, environ 427 000 ha, dont 10 000 irrigués. En dépit de cet important potentiel agricole, les 284 000 âmes qui peuplent Tissemsilt s'engouffrent, chaque jour davantage, dans les abysses de la précarité. Le chômage colle aux guêtres de plus d'un tiers de la population en âge de travailler. La bonne santé financière du pays n'a pas profité aux habitants de cette wilaya isolée. Sur les 22 662 postes d'emploi créés, seuls 5 290 sont permanents. Au siège de la wilaya, nous apprendrons que le nouveau wali « est sur le terrain ». Comble de déficience, l'institution ne dispose pas encore d'une cellule de communication. Nous avons été reçus par un chef de cabinet hospitalier, mais peu prolixe et circonspect. Il s'est contenté de nous remettre un document consignant quelques données sur l'état des lieux. Un Ramadhan dans le bourbier Les habitants de Tissemsilt ont dû accueillir le Ramadhan dans des conditions déplorables. Censé donner « l'exemple », le chef-lieu de Tissemsilt résume, à lui seul, la déliquescence de toute une région. En cette journée pluvieuse, le centre-ville offre un décor lugubre. La voirie est dans un état lamentable. Trottoirs défoncés, routes crevassées et ouvrages d'assainissement éventrés. Partout, le manque d'équipements et d'entretien est flagrant. Le tissu urbain se résume à un pâté de bâtisses coloniales excessivement décrépites. Çà et là, des espaces interstitiels, par-ci un dépôt sauvage, par-là une bâtisse en travaux, plus loin, une façade délabrée. Encore des ruelles qui servent de dépotoir à des tas de matériaux divers. L'hiver sera fait de fange et de gadoue. De l'ancien Vialar, il ne reste plus rien, sinon très peu de choses. Des constructions sans style ont surgi du néant, occasionnant un drame architectural à la ville. Les engins des travaux publics, avec leurs bruyantes cavalcades, ne cessent de vrombir. On conviendrait que ce vacarme augure d'un lendemain flamboyant. Mais un tel chantier finira-t-il un jour ? En cette journée de dimanche, le centre-ville de Tissemsilt grouille de monde. Y a-t-il une âme occupée ? On serait tenté de dire que la ville est un immense souk, mais l'activité commerciale est une autre histoire ! Toutefois, le siège de l'APC de Tissemsilt, de par sa propreté, est un petit havre au milieu d'un magma chaotique. Une bâtisse aux allures opulentes, un jardin entretenu et un mobilier bien commode. Le président de l'APC, Djilali Dekkiche, nous a reçus avec l'hospitalité coutumière qui fait la réputation des gens de Tissemsilt. Djilali Dekkiche explique le retard accumulé dans le développement de sa localité par plusieurs facteurs. Il remonte aux circonstances de la création de cette wilaya, en 1984, pour justifier ce marasme. « La wilaya de Tissemsilt est constituée de territoires déshérités appartenant jadis aux wilayas limitrophes », a-t-il affirmé. Autrement dit, une wilaya pauvre de naissance ! Notre interlocuteur a reconnu, par ailleurs, que sa commune de 70 000 habitants est complètement défavorisée. Il a admis également que tout est vétuste à Tissemsilt : le tissu urbain, les chaussées, les réseaux d'assainissement... « Ce n'est pas aussi alarmant, puisque la ville, comme vous le voyez, est en chantier », dit-il. Il expliquera le capharnaüm dans lequel se trouve le chef-lieu de Tissemsilt par les travaux entamés dans les secteurs de la voirie et de l'alimentation en eau potable et en gaz de ville. « Avant d'attaquer les chantiers ayant trait à l'embellissement et au réaménagement urbains de la ville, nous devons d'abord terminer les travaux en sous-sol », a-t-il déclaré. Interrogé sur les causes de ces tares qui ont dénaturé l'environnement urbain, M. Dekkiche évoquera le vieux bâti, les conséquences de l'exode rural et les ravages occasionnés par une gestion peu reluisante, voire populiste durant l'époque du FIS. Selon lui, le terrorisme a contraint les familles qui habitaient dans des haouchs isolés à élire domicile dans des régions sécurisantes, notamment dans la commune de Tissemsilt. De ce fait, les constructions illicites ont poussé comme des champignons dans la périphérie de la ville. Leurs occupants vivent aujourd'hui dans des conditions indescriptibles. « L'éradication des derbs (bidonvilles) nécessitera des programmes spéciaux ; et l'Etat doit s'y impliquer », dira le président de l'APC. Parallèlement aux opérations de « repeuplement » initiées par les pouvoirs publics et financées par l'Etat, l'APC de Tissemsilt, de l'avis de M. Dekkiche, s'est attelée, depuis un moment, à recaser, dans des logements décents, les familles nécessiteuses. A ce sujet, le premier magistrat de cette commune a souligné que l'APC avait distribué 875 logements sociaux en 2003 et 714 autres récemment. Les quotas de logements distribués sont insignifiants par rapport au nombre de demandeurs. Pour améliorer un tant soit peu les conditions de vie de la population locale, quelques infrastructures ont été réalisées et beaucoup d'autres sont en voie de réalisation : centre universitaire, complexe sportif, établissements scolaires... Sur le plan économique, le maire compte autant sur le programme de soutien à l'agriculture que sur la petite zone d'activité implantée à Tissemsilt pour sortir sa région de l'ornière. D'ailleurs, il s'apprête à lancer un appel en direction des investisseurs. La diversification de l'agriculture est également l'une des préoccupations majeures des élus locaux. « Nous devons passer de la monoculture à la polyculture », dira M. Dekkiche, confiant quant à l'avenir agricole de Tissemsilt. « Le futur proche de cette région qui a donné le taux le plus fort de voix à l'actuel chef de l'Etat, lors de la dernière présidentielle, s'annonce radieux », a-t-il conclu. Pourvu que ces engagements ne rejoignent pas leurs prédécesseurs dans le cimetière de l'oubli. Tissemsilt en bref Superficie : 3151, 37 km2 Superficie agricole total : 427 181 hab Superficie forestière : 61 165 ha Vocation : agropastorale Nombre de daïras : 8 Nombre de communes : 22 Population : 284 854 h ab Population urbaine : 170 422 hab Population rurale : 158 935 hab Parc immobilier : 39 376 Taux de chômage théorique : 36, 81% Taux de chômage réel : 28 % Dossiers FNDRA agréés : 7 783 Unités industrielles d'envergure nationale : 4 Nombre d'écoles primaires : 276 Nombre de CEM : 47 Nombre de lycées : 21 Nombre d'hôpitaux : 3 Nombre de polycliniques : 5 Université : en cours de construction Demain : Le retour timide des « déracinés »