Al Jazeera a-t-elle un compte à régler avec l'Algérie, son peuple et ses dirigeants ? Veut-elle se poser en intermédiaire entre les terroristes qu'elle met en vedette et les autorités civiles et militaires ? Qu'est-ce qui motive son subit acharnement sur le « sujet » Algérie au travers d'un foisonnement d'images détestables qu'elle distille quasi quotidiennement dans ses JT sur la chronique des maquis terroristes algériens ? La diffusion par cette chaîne, connue pour sa proximité des milieux intégristes, d'images filmées par les tueurs eux-mêmes des derniers attentats commis en Kabylie remet, en effet, la crédibilité de cette télé entre parenthèses. Ses images ont, incontestablement, choqué plus d'un Algérien. A commencer par les citoyens de Kabylie où des actes terroristes visant les services de sécurité ont eu lieu en février et mars 2007. « J'ignore si cette télé est consciente du climat de peur qu'elle a suscité en diffusant ces images, prises de surcroît par les terroristes. A cause de ces images, les petites gens paniquent, certaines n'osant plus circuler après 16h », s'écrie un citoyen d'Ath Yenni. Il s'agit là d'un état d'esprit qui prévaut partout en Algérie. Pas moins concernés que leurs compatriotes de Kabylie, les citoyens de la capitale n'hésitent pas aussi à pointer du doigt cette chaîne basée à Doha. Un forum internet algérois la qualifie même de « tribune par excellence d'Al Qaïda ». « Elle diffuse ses communiqués, les images les plus macabres des opérations terroristes, et surtout se fait l'écho des déclarations d'Oussama Ben Laden et de son bras droit, Ayman Al Zawahiri. Diffusés en boucle sous le label de l'exclusivité, ces prétendus ‘‘scoops'' sont en réalité que de la pure propagande terroriste », peut-on lire dans de nombreux blogs. Les Algériens s'élèvent contre le fait que mardi dernier, Al Jazeera a organisé des émissions spéciales pour focaliser « à sens unique » sur la série d'attentats perpétrés dans les wilayas de Boumerdès et de Tizi Ouzou. L'opinion publique condamne d'autant plus Al Jazeera lorsque celle-ci n'a pas hésité à faire parler en direct un certain « émir » (ndlr : le nom est supprimé à dessein par la rédaction) comme étant le porte-parole d'Al Qaïda dans la région du Maghreb. Selon Abdou Benziane, journaliste, écrivain et spécialiste de l'audiovisuel, « il y a beaucoup à dire sur le plan de la morale journalistique et politique ». « Le traitement que fait Al Jazeera des actes terroristes en Algérie est plus qu'ambigu. Les pouvoirs publics nationaux ont le droit de dire leur appréciation du phénomène, les citoyens et la société civile, les gendarmes, et les victimes aussi », estime Abdou B. Le spécialiste signale aussi qu'Al Jazeera a profité d'une conjoncture, d'une réalité amère. « Je dois aussi restituer cette chaîne dans le contexte mondial, exacerbé par le terrorisme, les ravages que subissent les peuples arabes et musulmans (guerres, malaise, misère...) et essentiellement les Palestiniens. Dans ces régions, les ‘‘sans voix'', sans représentants, et dans la plupart des cas sous des régimes innommables. C'est ce créneau qu'a pris cette chaîne devenue, à mon avis, des plus performantes en matière d'infos, avec beaucoup de talent et de professionnalisme. » Pour Ahmed Adimi, docteur en communication et maître de conférences à l'Institut des sciences de l'information et de la communication (ISIC), « il faut d'abord savoir que sur le plan de l'éthique et de la déontologie, Al Jazeera ne cesse de passer à côté ». « Je n'ai jamais vu une chaîne occidentale diffuser des vidéos qui mettent en valeur les ‘‘hauts faits d'armes'' des terroristes. Pourquoi Al Jazeera s'empresse-t-elle à se livrer à cette besogne sans qu'elle ne soit inquiétée outre mesure ? », s'interroge l'universitaire. Le docteur Adimi ajoute que les autorités auraient dû autoriser la chaîne à ouvrir un bureau à Alger (il a été finalement ouvert à Rabat). « L'Algérie aurait eu à gagner, au moins en ce qui concerne le volet sécuritaire », signale cet auteur du livre intitulé Islam et islamisme à travers la presse française. L'universitaire croit aussi qu'il est temps que l'université, notamment l'ISIC, « décortique » le phénomène Al Jazeera par des études et des analyses à l'université.