Il est rare que des personnalités que l'on ne peut pourtant pas suspecter de connivence avec le système pour avoir été elles-mêmes victimes de ce même système en viennent à admettre publiquement que des choses positives sont en train de se produire dans le secteur de la justice. Le témoignage panégyrique sur la magistrate Brahimi qui officie le procès de la caisse principale de Khalifa Bank, auquel s'est livré, dans les colonnes du journal El Watan dans son édition de jeudi l'avocat maître Mokrane Aït Larbi, engage un débat de fond. Celui de savoir si la justice algérienne est en train de faire lentement sa mue à la faveur de ce procès ou si tout ce qui se passe dans l'enceinte du tribunal de Blida n'est que trompe-l'œil. D'autres avocats et personnalités en vue de la société civile se sont relayés pour louer le courage et la compétence de la présidente du tribunal qui n'a pas ménagé ministres et autres protégés du système qui ont défilé à la barre en qualité de témoins. La question qui est posée à présent est de savoir si l'engagement mis par la juge Brahimi dans ce procès pour se faire la porte-voix d'une justice juste et n'ayant de compte à rendre qu'à la loi et au peuple au nom duquel les jugements sont rendus est le prélude d'une réforme profonde de la justice assumée et portée celle-là par la base, par les juges eux-mêmes, contrebalançant la réforme de l'institution judiciaire en cours qui est plutôt subie par les juges parce que imposée de haut. La presse qui couvre le procès depuis son début et toute l'assistance présente à la dernière journée du procès, ce jeudi - avocats, accusés, témoins et leurs familles - ont vécu une journée particulière chargée d'émotion et riche en messages tantôt codés tantôt livrés en clair. Les analystes ne manqueront certainement pas de décoder ces messages pour tenter de cerner et d'apprécier les propos tenus par la présidente du tribunal et par le procureur à l'occasion de la clôture du procès pour en saisir la portée profonde et l'impact sur le devenir et les changements attendus et espérés par les citoyens dans le secteur de la justice à la faveur de ce procès. On n'a en effet jamais vu dans l'enceinte d'un tribunal des accusés et des avocats applaudir un président d'un tribunal comme ce fut le cas, ce jeudi, au tribunal criminel de Blida. L'intervention de Madame Brahimi à la fin du procès fut ponctuée par de fréquents applaudissements de l'assistance y compris par les accusés. Elle a réussi à faire mouche et à arracher de chaudes et sincères larmes à l'assistance par son discours où se mêlent attachement à l'ordre juste et clémence. Elle a introduit un zeste d'humanisme dans cet univers froid et mutilant qu'est la justice. Incontestablement, elle aura réussi à marquer de son empreinte ce procès. Mais est-ce suffisant pour ancrer et enraciner l'indépendance de la justice dans le pays ? Une fois le rideau sur le procès tombé, que restera-t-il des cris de cœur, des larmes mal contenues et des belles envolées de la juge Brahimi qui s'échinait de manière imperturbable tout au long du procès à démontrer qu'elle n'avait pas d'autres lignes rouges que les limites légales imposées par la loi quant au respect de l'arrêt de renvoi ? Les prochains jours nous édifieront si l'expérience inédite vécue par le tribunal criminel de Blida dans le cadre du procès de la caisse principale de Khalifa Bank est une lame de fond portée par les juges dans le sens de réformes profondes du secteur de la justice. Ou s'il y a d'autres calculs derrière. Bien évidemment, même si ce procès a quelque part entr'ouvert certaines portes auparavant hermétiquement closes comme celle de faire défiler à la barre des ministres, il reste que ce procès s'achève avec de légitimes frustrations par rapport aux attentes de l'opinion. Au regard du verdict qui se dessine à la lumière du dénouement du procès, il est en effet difficile de convaincre que l'ère de la justice à deux vitesses est réellement révolue dans notre pays.