La décision des responsables algériens d'augmenter substantiellement le prix du gaz pourrait être dictée par le souci d'accroître les recettes et d'exercer une espèce de lobbying diplomatique pour amener les clients à ne pas tourner le dos à l'Algérie. L'annonce faite, hier, par le ministre de l'Energie, Chakib Khelil, de la volonté de l'Algérie d'augmenter le prix de son gaz au terme des négociations qu'elle a engagées avec ses clients est, sans doute, révélatrice d'une nouvelle stratégie dans ce secteur. Les traitements préférentiels et autres « faveurs » consentis à des pays dits « amis » vont donc céder la place à une « realpolitik » gazière. Celle du marché. Si la politique algérienne en matière de prix du gaz était jusque-là imbriquée, à tort ou à raison, à ses rapports, voire ses proximités avec certains puissants pays d'Europe, sans qu'elle n'en tire forcément une plus-value politique, la démarche va apparemment changer. Le gaz sera désormais un vecteur diplomatique que l'Algérie entend utiliser à bon escient avec ses partenaires. Le ministre de l'Energie qui vient de déclarer le choix de l'Algérie d'aller vers la réalité des prix du gaz confirme qu'une forme de diplomatie du gaz est effectivement en route. Ce pragmatisme retrouvé des responsables algériens est dicté par le double souci de tirer d'abord un surcroît de recettes via l'augmentation du prix du gaz, mais aussi d'exercer une espèce de lobbying diplomatique pour amener ses clients à ne pas lui tourner le dos s'agissant des questions stratégiques qu'elle défend. En l'occurrence, au-delà des 150 millions de dollars supplémentaires qu'elle engrangera en augmentant d'un seul dollar le prix de son gaz, l'Algérie dispose d'un instrument aussi puissant que le pétrole pour « punir » économiquement ceux qui la contrarient diplomatiquement. C'est que les gazoducs ne transporteront plus uniquement du gaz pour faire plaisir à nos clients mais aussi et surtout des idées. Les temps du fantôme de la sécurité énergétique ou encore du sacro-saint principe du bon voisinage semblent avoir vécu. L'Algérie a enfin compris qu'elle ne doit dorénavant plus ouvrir ses vannes pour arroser l'Espagne, la France et les autres pays européens si elle n'a aucun avantage politique et diplomatique comparatif à tirer. Il y a, en effet, un constat : les « faveurs algériennes » à ses clients ne sont pas bien récompensées diplomatiquement. Il n'y a qu'a voir les positions de l'Espagne et de la France à l'égard du problème du Sahara occidental pour noter ce partenariat improductif. Il est d'ailleurs significatif de relever l'arrivée, aujourd'hui, du roi d'Espagne en Algérie au moment où l'Algérie négocie avec le gouvernement de Zapatero l'augmentation du prix du gaz. Sa Majesté va peut-être tenter de rattraper les maladresses diplomatiques de son Premier ministre par rapport à la position du royaume d'Espagne vis-à-vis du dossier sahraoui. L'Algérie qui couvre 60% des besoins de ce pays en gaz à travers le gazoduc Maghreb-Europe (GME) et au moins 10% des besoins de toute l'Europe, a beau jeu. Les terribles pressions exercées par le géant russe Gazprom rendent les pays européens très vulnérables. De fait, l'Algérie hérite d'une position très enviable de « solution alternative » à même de garantir la sécurité énergétique tant souhaitée par ces pays, « individuellement » ou dans le cadre de l'Union européenne. Et ce serait vraiment dommage pour l'Algérie de dilapider ou de ne pas user ce précieux joker pour impulser, voire imposer une mise à niveau diplomatique pour ses partenaires. A travers sa richesse gazière, l'Algérie dispose en tout cas d'une véritable arme énergétique de dissuasion. L'accord historique conclu entre Sonatrach et Gazprom en août 2006, et qui a fait trembler l'Europe, aura servi d'étincelle.