Ça lui fait mal de revenir sur cette histoire, même si le temps a passé depuis. « Le harcèlement sexuel est une pratique courante qui s'évertue à s'appliquer sur des jeunes femmes en position de dépendance », explique N. B. Les bras croisés, le regard fuyant, elle revient sur cette année douloureuse comme on vient se recueillir sur une tombe. N. B., tout juste 21 ans, est en 4e année d'anglais à l'Institut des langues étrangères de Bouzaréah. Elle entame son année confiante et ne doute pas encore que le principal auteur de son redoublement sera son professeur de littérature et de civilisation américaines. « Le bruit courait qu'il appréciait beaucoup ses étudiantes ; et si au début j'ai un peu abandonné ses cours, je me suis vite resaisie et suis devenue plus assidue. » N. B. avait jusqu'ici fait un parcours sans faute et décrochait ses diplômes sans trop de souci. Le masque est tombé à l'occasion du premier examen du premier semestre. « J'avais une note catastrophique. Encore aujourd'hui avec du recul, j'estime que je ne méritais pas cette note », argumente-t-elle. C'est là-dessus que repose toute la stratégie du harceleur. Il identifie ses futures victimes soit parce qu'elle sont en position de dépendance et donc de faiblesse, soit en s'ingéniant à provoquer l'état de faiblesse. Un fois la toile tissée, il ne reste plus qu'à saisir la victime. « Il m'interpelle un jour et me demande de l'attendre à la fin du cours pour discuter. J'ai automatiquement pensé qu'il voulait des explications sur ma mauvaise note et peut-être me donner quelques conseils. » Confiante mais quelque peu stressée par l'entrevue qui l'attend avec son enseignant, N. B. l'attend à la fin du cours. « Je n'oublierai jamais son entrée en matière ni les propos qu'il m'a tenus. Il m'a dit qu'il avait vu ma dissertation et que mes lacunes reposaient sur le fait que je ne savais pas formuler mes idées. Il m'a proposé de venir chez lui à Sidi Fredj, “dans mon petit coin”, pour me montrer comment développer mes idées ». N. B. se dira interloquée. Le souffle court, le visage tendu, elle n'osera pas une réplique. Heureusement, une amie arrive et le professeur change de discours pour inviter N. B. à le rejoindre dans la salle des professeurs pour l'aider. Elle n'ira ni à la salle des professeurs ni dans son petit coin à Sidi Fredj. Il réitérera ses avances à de multiples reprises mais N. B. ne cède pas. « Au second semestre, il me donne une note éliminatoire qui m'empêche d'avoir mon année. J'ai appris par la suite que je n'avais pas été sa seule victime. D'ailleurs, il paraît que certaines jeunes filles ont cédé soit pour être sûres d'obtenir l'année soit pour effectuer un stage aux Etats-Unis. Il était en effet membre d'une fondation américaine et détenteur de lettre de référence qui pouvait s'avérer élogieuse selon le postulant(e). » N. B. refera ainsi sa 4e année. Elle travaille aujourd'hui dans une entreprise privée dans le secteur de l'économie et le problème ne s'est jamais posé dans sa vie professionnelle. Elle aspire à faire son travail le plus normalement du monde en mettant en avant ses qualités professionnelles. Uniquement ces qualités-là.