Le procès a été qualifié de « marathon » pour avoir duré deux mois. Ouvert le 8 janvier, il s'est terminé le 8 mars, non sans pleurs. Ce ne sont pas les inculpés qui se sont effondrés sous l'effet des peines de 12 à 20 ans de prison ferme requises par le procureur de la République, mais plutôt la juge Fatiha Brahimi, 52 ans, qui a versé des larmes sous l'émotion provoquée par le geste d'un avocat qui lui a offert des fleurs à l'occasion de la Journée mondiale de la femme. « Je parais forte, mais je suis faible. Nous sommes des humains », lâcha-t-elle, sous un tonnerre d'applaudissements des avocats, des journalistes et même des mis en cause. L'un d'entre eux, passible de 20 ans de prison, lui avait lancé : « Madame, votre nom restera à jamais gravé dans nos mémoires. » D'une voix brisée par l'émotion, elle lança encore : « Je suis comme une mère pour vous et j'essaierai d'être clémente avec vous. » Si nombre de gens l'ont critiquée après cette déclaration en lui rappelant qu'elle n'est pas la mère des accusés, mais leur justicière, d'autres personnes, dont des avocats, reconnaissent en elle la rigueur et le professionnalisme avec lesquels elle a géré le procès. Ils se souviennent de la fermeté avec laquelle elle rappelait à l'ordre des ministres, posait des questions et replaçait le débat dans son cours normal. Mais le plus important maintenant est la sentence qu'elle prononcera aujourd'hui à l'encontre des 104 inculpés, dont 10 sont en fuite à l'étranger. Parmi ceux-ci, l'on peut citer l'ex-golden boy algérien, Abdelmoumen Khalifa qui s'est réfugié à Londres depuis le krach de son groupe éponyme au début de 2003. Mais il y a aussi Abdelwahab Keramane, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie qui sera, lui aussi, jugé par contumace. Tout au long du procès de ce que l'on appelle « le scandale du siècle » en Algérie, des anciens ministres, des ministres en fonction, des hauts fonctionnaires de l'Etat, des dirigeants sportifs et même le patron de l'Union générale des travailleurs algériens ont défilé devant le tribunal, soit en tant qu'inculpés, soit en qualité de témoins à charge ou à décharge. Certains ministres en fonction se sont illustrés par leurs confessions fracassantes, tels que le ministre des Finances, Mourad Medelci, qui a déclaré « avoir manqué d'intelligence » dans la gestion du dossier Khalifa avant que le grand scandale n'éclate. D'autres ministres, non cités au procès, ont vu leur nom éclaboussé dans cette affaire qui en dit long sur les défaillances et les dysfonctionnements dans le système de contrôle des banques. Outre les manquements techniques et les vides juridiques apparus, les révélations de certains inculpés font état de l'implication de hauts responsables dans cette grosse affaire qui a coûté à l'Etat plus de 1,5 milliard de dollars. Cela sans compter l'argent de milliers d'épargnants qui s'est volatilisé. Au fur et à mesure que les inculpés et les témoins passaient à la barre, on apprenait comment Abdelmoumen Khalifa avait réussi à monter son affaire en utilisant l'argent public et celui des particuliers « séduits » par les taux d'intérêt imbattables qu'il proposait à ses clients, évalués à près de 8 millions. En l'absence d'inspection et de contrôle, Abdelmoumen Khalifa se comportait comme si l'argent de la banque lui appartenait. Cette attitude a été affirmée par le caissier principal qui a reconnu avoir exécuté les « ordres » de Rafik Khalifa sans discussion, car pour lui, comme la banque lui appartenait, l'argent aussi. Créant sa banque, en mars 1998, avec une modique somme de 500 millions de dinars (5 millions euros), Abdelmoumen Khalifa s'est trouvé, quelques années après, avec un chiffre d'affaires de un milliard de dollars. Grâce à l'argent de la banque, il a réussi à créer d'autres filiales, faisant fi de la loi. Parmi celles-ci, l'on peut citer Khalifa Airways, Khalifa Construction, Khalifa Santé, Khalifa Informatique, Khalifa Location Rentcar (location de voitures), Khalifa Catering, Khalifa Prévention, Khalifa TV, Khalifa Edition… L'expansion rapide du groupe – devenu en un laps de temps très court un véritable empire qu'on citait à l'époque comme exemple de réussite de l'ouverture de l'Algérie sur l'économie de marché –, si elle a frappé l'esprit du citoyen, n'a nullement suscité la « curiosité » des autorités du pays. Une expansion qui n'aurait certainement pas réussi sans l'habilité et l'entregent de Abdelmoumen Khalifa auprès des décideurs algériens. La banque, faut-il le souligner, a accumulé les dépôts à coups de milliards de dinars, de plusieurs entreprises publiques et institutions. C'est ainsi que l'avocat Khaled Bergheul a déclaré en plein procès que « sans l'aide des autorités, qui ont fermé les yeux sur ses agissements », Abdelmoumen Khalifa n'aurait pas pu édifier son empire. Il a évoqué « le laxisme de la Banque d'Algérie » qui, selon lui, « était à l'origine de la catastrophe d'El Khalifa Bank ». Mais Abdelwahab Keramane, ancien gouverneur de cette banque, un des inculpés en fuite, s'est déclaré « victime d'un règlement de comptes politique », arguant le fait de n'avoir pas soutenu l'actuel président de la République. Il reste à la justice de trancher. Ce procès n'est en fait que le premier d'une affaire qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Il est entendu que la justice ouvre les procès des autres filiales du groupe, allant de Khalifa Airways à Khalifa TV.