Luigi Comencini, qui vient de disparaître à l'âge de 90 ans, était un icone du cinéma italien dans ses moments les plus florissants. Il incarnait une inspiration raffinée, d'une haute exigence esthétique, même lorsque ses films étaient de féroces satires contre le conformisme et les idées reçues. Il était l'un des ultimes survivants de cette époque flamboyante qui avait vu s'imposer des cinéastes comme Fellini, Monicelli, Bolognini, Lattuada, Risi, Rosi, Ferreri, Bertolucci, Olmi, Scola, les Taviani, formidables héritiers de ces années fabuleuses marquées par les œuvres retentissantes de De Sica et Rossellini. Comencini s'inscrivait tout naturellement dans le cycle consacré par le cinéma de minuit de France 3, dans l'hommage aux années d'or du cinéma italien, avec son film La femme du dimanche qu'il avait tourné en 1975. Nul, durant cette période de grâce, ne pouvait envisager que ce cinéma italien, si bouillonnant d'idées généreuses et d'humanité, allait basculer dans un irréversible déclin. Sans doute pas Luigi Comencini qui, avant d'être un brillant réalisateur, avait été l'un des artisans l'éclosion de la culture cinématographique dans son pays en créant, avec son ami Alberto Lattuada, la Cinémathèque italienne. Luigi Comencini était déjà un homme épris de culture et sa passion du cinéma était si puissante qu'elle l'avait détourné du métier d'architecte pour lequel il avait été formé. Esprit curieux, Comencini s'était engagé dans la quête de la mémoire en s'attachant à préserver le patrimoine cinématographique italien. Son exigence esthétique personnelle était favorisée par le contexte naturel de cette Italie qui avait produit de si nombreux peintres et compositeurs de génie. Ce bain culturel explique le cheminement de Comencini. Ses premiers films, comme Pain, amour et fantaisie (1953) et Pain, amour et jalousie (1954) sont loin d'être des œuvres de thésard, mais des comédies qui obtiennent les faveurs du public. Comencini cherche encore cependant sa voie et son style dont ne rendent pas compte des titres tels que A cheval sur un tigre (1961) ou Don Camillo en Russie (1965), amusante pochade dont le caractère alimentaire saute aux yeux. La carrière de Comencini prend un réel tournant avec L'Incompris (1967) qui révèle enfin le cinéaste ambitieux qu'annonçait parfaitement le méconnu La Ragazza qu'il avait réalisé en 1963. L'Incompris vaut à Comencini un immense succès d'estime et le désigne comme un cinéaste sensible et attentif aux problèmes de l'enfance. Ce préjugé favorable sera rapidement confirmé avec Casanova, un adolescent à Venise (1969), et les aventures de Pinocchio (1971) dans lesquels le cinéaste est au summum de la maturité esthétique et de l'art de la reconstitution. Pour autant, Comencini n'est pas passéiste et il en fait la démonstration avec L'argent de la vieille (1972), fable décapante sur l'appât du gain dans lequel le cinéaste réunit les légendaires Bette Davis et Joseph Cotten. Comencini va continuer de s'illustrer dans cette veine pittoresque avec des polars décalés comme La femme du dimanche ou Qui a tué le chat (1977), avant de revenir à des préoccupations plus ancrées dans la profondeur historique, à l'image de L'Imposteur (1982), Cuore (1983) ou La Storia (1987) dans lesquels s'exprime la diversité de sa palette. Comencini était le peintre des sentiments et sa grande érudition lui permettait d'appréhender les conflits humains quelle que soit la période dans laquelle étaient inscrits ses récits. Il se donnait les moyens de faire passer son message dans des films toujours magistraux par la qualité des collaborateurs qui travaillaient avec lui. Cela justifiait qu'il passe de la reconstitution historique à la chronique moderne sans donner l'impression d'être un touche-à-tout distant. C'est pratiquement atteint par la limite d'âge qu'il cessera de tourner dès le début des années 90. Le nom de Comencini restera associé à ce triomphe du cinéma italien dont il avait contribué à écrire l'histoire. Un parcours comme le sien est en cela exemplaire que Comencini a su adapter son cinéma aux besoins d'une époque durant laquelle le grand écran était le miroir dans lequel le public aimait se regarder. Dans ce lien au public, le succès de Comencini s'explquait par le fait qu'il était passé maître dans l'art de raconter des histoires qui n'incitaient surtout pas à dormir debout.