Le cinéma italien, au meilleur de son inspiration, avait produit des chefs-d'œuvre absolus. C'est le cas du film de Mauro Bolognini, Le bel Antonio, qui traite avec courage le thème de l'impuissance masculine dans une société qui en fait une question d'honneur. Mauro Bolognini a réalisé en 1960 ce film, diffusé sur Arte, dans un contexte de la remise en cause par le cinéma italien d'un certain nombre d'archétypes et de conventions. Une formidable génération de cinéastes, dans la foulée de Roberto Rossellini, Vittorio de Sica et Luchino Visconti, s'étaient attaqués avec panache à un certain nombre d'idées reçues sur l'Italie et les Italiens. Les Mario Monicelli, Dino Risi, Federico Fellini et autres Luigi Comencini ou Alberto Lattuada avaient su se pencher sur cette Italie de l'après-guerre qui entrait sans trop se presser dans l'ère de la modernité, car elle restait encore ancrée dans les pesanteurs et les archaïsmes d'un passé qui avait rendu possible l'irruption brutale du fascisme au début des années 1920. Mauro Bolognini n'était pas en reste de cette volonté de décaper le présent et il avait le talent, dans ses chroniques au vitriol, de décrire les contradictions italiennes en tirant d'ailleurs argument du parti pris d'en rire. Le bel Antonio s'inscrit d'ailleurs totalement dans cette démarche, qui est plus largement celle du cinéma italien des années 1960 à 1990, de mettre à nu l'hypocrisie, le travestissement des réalités sous le vernis de la morale. Le bel Antonio est le récit féroce des conséquences de ce voile moral jeté sur des problèmes occultés dans une société où les tares supposées sont délibérément refoulées. Dans cette magistrale étude du faux-semblant qu'est Le Bel Antonio, Mauro Bolognini trace le portrait en deux dimensions d'un personnage qui est un séducteur du côté de la lumière et un débile physique du côté de l'ombre. Le thème était d'autant plus audacieux, en 1960, que Mauro Bolognini situe l'action de son film en Sicile où il n'est pas question de transiger avec les codes. Revenu après de longues années d'absence à Catane, Antonio se voit imposer le mariage par son père qui est inquiet du célibat prolongé et inexplicable de ce garçon que toute la ville regarde comme un séducteur, donc comme un danger. Le mariage est donc pour Antonio l'issue la plus honorable et la plus conforme aux usages. C'était compter sans l'incapacité du présumé séducteur à assumer son rôle. Cette erreur de distribution sociale, Mauro Bolognini ne l'expose pas bien sûr par goût de la dérision ou par cruauté. Il y a un caractère moral dans la présentation qu'il fait d'un phénomène qui, en ce temps déjà, relevait de la médecine plus que des réputations faussement établies et des préjugés machistes. On ne peut en effet pas voir chez Mauro Bolognini une intention de tourner en ridicule un personnage inscrit dans la légende urbaine méditerranéenne, celui du Don Juan viril et beau. C'est une manière forte d'aller à contresens des certitudes les plus confortables. Mauro Bolognini se montre, dans cette étude de mœurs, en avance sur son temps, dans la mesure où il anticipe sur un débat dans lequel la société italienne d'alors n'était pas prête à s'engager. Des œuvres comme celle de ce cinéaste, mais aussi des autres cinéastes italiens à l'image d'Ermano Olmi, Ettore Scola, Francesco Rossi, témoignent à l'évidence de la dynamique pédagogique qui est, hier et aujourd'hui, celle du cinéma. Ces auteurs inoubliables pâtissent malheureusement du terrible délitement qu'a subi le cinéma italien au début des années 1990 suivi de son quasi-retrait de la scène internationale. Il est incontestable qu'il s'agit de films qui ont la qualité de pièces de musées au sens éducatif et esthétique qui peut s'attacher à un tel lieu de diffusion du savoir. Ce sont les œuvres de ces maîtres du cinéma italien qu'il est important de montrer dans les cinémathèques et aussi à la télévision comme le font nombre de chaînes thématiques. D'autant qu'il s'agit très souvent de films dont les problématiques exposées ne sont pas périmées, loin s'en faut. Nul mieux que Francesco Rossi, dans Main basse sur la ville, n'explique le phénomène de la spéculation immobilière qui n'est pas limité dans le temps mais reste d'une brûlante actualité. Ces cinéastes italiens ont fait la lumière sur des secrets enfermés derrière des portes scellées par le poids de l'omerta.