Le silence observé par le président Abdelaziz Bouteflika à la suite des attentats sanglants d'Alger qui ont suscité une vague d'indignation et de dénonciation en Algérie et à l'étranger a donné lieu à plusieurs lectures. N'ayant pas fait d'apparition publique depuis le sommet arabe de Riyad qui s'était tenu les 28 et 29 mars dernier – chose qui avait de nouveau contribué à alimenter les spéculations désormais récurrentes autour de son état de santé –, le chef de l'Etat avait reçu en audience le jour même des attentats d'Alger l'envoyé spécial tunisien, le président de la chambre tunisienne des Conseillers, M. Abdallah Kallel, et l'ambassadeur de Russie à Alger. Ces audiences ont eu lieu juste après les attentats. Face à la caméra de l'Entv, Bouteflika affichait une mine grave, le visage fermé et l'esprit manifestement ailleurs en se présentant sur le perron de la présidence de la République aux côtés de ses hôtes qu'il venait de recevoir en audience. Dans sa déclaration à la presse, le diplomate russe a souligné qu'il avait profité de son entrevue avec le chef de l'Etat pour lui présenter les condoléances de son pays. Les citoyens qui étaient rivés sur leur poste de télévision guettaient légitimement une déclaration de Bouteflika sur le tragique événement du jour. Au fil des minutes, on avait compris que le Président ne souhaitait pas s'exprimer sur la question. Si tel avait été le cas, le reporter de l'Entv chargé de couvrir les audiences du Président ce jour-là aurait sans nul doute été instruit et inspiré pour lui poser la question et lui permettre ainsi de rebondir et de donner le ton de la réaction de l'Etat algérien. Les heures et les jours passèrent et on ne sait toujours pas comment Bouteflika a vécu et perçu ces attentats, la lecture qu'il en a faite et les enseignements qu'il en a tirés pour l'avenir. Tout comme on ignore comment il entrevoit la riposte de l'Etat pour relever ce nouveau défi du terrorisme qui passe à une nouvelle phase au plan opératoire avec le recours à l'arme absolue des bombes humaines. Bouteflika, qui aurait pu et dû saisir l'opportunité de son agenda protocolaire du jour et le canal de la télévision pour parler au peuple, dénoncer avec vigueur ces attentats et rassurer les citoyens sur l'engagement de l'Etat à combattre avec la dernière énergie le terrorisme, a préféré ne pas se mettre en avant laissant le soin au chef du gouvernement et au ministre de l'Intérieur d'investir le terrain et d'occuper l'espace médiatique. Même si les observateurs ont trouvé les propos de Belkhadem forts, la portée de ses déclarations et de ses engagements pour faire face à la situation demeure celle d'un chef de gouvernement dont les pouvoirs, on le sait, restent limités. Parce qu'il incarne la source du pouvoir, il est indéniable qu'une déclaration du président de la République réaffirmant les engagements de l'Etat à combattre de manière résolue le terrorisme en clarifiant davantage le cap de cette lutte à la lumière des nouvelles donnes sécuritaires aurait eu un impact autrement plus important sur l'opinion publique. L'information rendue publique par le chef du gouvernement sur le lieu du drame, au Palais du gouvernement et faisant état de la tenue d'une réunion d'urgence sous la présidence du président de la République à laquelle ont pris part « plusieurs responsables » a suscité plus d'interrogations qu'elle n'a apporté de réponses quant à l'effacement du président de la République dans ces circonstances graves qu'a vécues la capitale et le pays d'une manière générale. Le black-out total a été maintenu autour de cette réunion. Aucune image, aucune information n'a filtré de cette réunion sinon cette confidence de Belkhadem, qui n'en est pas une, annonçant qu'elle a été sanctionnée par « une série de mesures pour mettre un terme, en premier lieu, à ces actes criminels, et en second lieu, pour mettre ces criminels hors d'état de nuire ». On peut penser que s'agissant d'une réunion à caractère sécuritaire on ait voulu préserver le secret des discussions et des décisions prises ainsi que l'anonymat des responsables en charge de la sécurité nationale ayant pris part à cette réunion. S'il est fondé, compte tenu des traditions du pays en la matière qui veulent que certains hauts responsables des services de sécurité ne sont pas considérés comme des hommes publics, l'argument ne convainc pas. Il y a en effet manifestement encore et toujours un problème patent de communication qui parasite le discours officiel et le décridibilise aux yeux des citoyens. Pourquoi, en effet, une réunion présidée par le président de la République n'est pas sanctionnée par un communiqué officiel de la présidence de la République ou du Haut Conseil de sécurité présidé par le chef de l'Etat si c'est cette institution qui a été convoquée en urgence par le président Bouteflika et que l'on ne veut pas impliquer publiquement pour dédramatiser la situation ? C'est le chef du gouvernement qui nous apprendra, comme ça, au passage, la tenue de cette réunion d'urgence. Au plan médiatique et de la lutte antiterroriste et cela sans dévoiler son plan de bataille, l'Etat aurait à l'évidence beaucoup gagné en faisant du bruit autour de cette rencontre sécuritaire pour terroriser les terroristes. Bien évidemment, d'aucuns n'hésitent pas à expliquer ce manque de lisibilité du discours officiel et de visibilité de la riposte au terrorisme sur le terrain par la combinaison de deux facteurs. Le premier est lié à l'état de santé du Président qui ne lui permet plus comme il le faisait avant sa maladie d'être sur tous les fronts. Encore que cet argument ne tient pas tout à fait la route car si le Président n'a plus les capacités physiques de s'adresser à son peuple et de compatir à sa douleur dans les moments tragiques en se rendant sur les lieux du drame comme cela aurait dû être le cas lors des attentats d'Alger, les choses prendraient un autre sens. Cela signifierait que le pays est installé dans un scénario politique nouveau. Officiellement, rien ne laisse penser que ce soit le cas dans la mesure où le Président vaque toujours à ses occupations comme il l'a démontré le jour même des attentats en recevant en audience des hôtes étrangers. Il reste alors l'autre hypothèse qui consiste à se demander si l'embarras de Bouteflika à descendre dans l'arène n'est pas, d'une certaine manière, une reconnaissance tacite que la politique de réconciliation nationale dont il est l'architecte n'a pas produit tous les effets escomptés pour ne pas parler carrément d'échec. La prière de l'absent, à distance, de Bouteflika a-t-elle touché le cœur meurtri des Algériens et des familles endeuillées par ces tragiques attentats ?