De nombreux chefs d'Etat et de gouvernement, le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, ont immédiatement réagi à la suite des attentats d'Alger de mardi pour dénoncer ces actes criminels et présenter au gouvernement et au peuple algériens leurs condoléances. Au milieu de cette vague de dénonciations internationales, une ombre manquait au tableau. Celle du président Bouteflika qui n'a fait aucune apparition ni déclaration depuis ce mardi noir. La radio Chaîne III, qui avait ouvert le jour du carnage le micro aux citoyens pour s'exprimer en direct sur ces attentats et crier leur colère, s'est faite piéger à plusieurs reprises lorsque des citoyens avaient demandé au président Bouteflika de démissionner de son poste. Il est vrai que depuis son arrivée aux affaires en 1999, le président Bouteflika s'est imposé une règle de ne pas se mettre en avant à chaque fois qu'un attentat est perpétré même lorsqu'il s'agissait d'attentats à fort impact médiatique, comme l'attaque contre le Palais du gouvernement ou l'attaque de Bouchaoui contre l'autobus de transport des travailleurs de l'entreprise BCR. A chaque fois, il avait laissé le soin au ministre de l'Intérieur et accessoirement au chef du gouvernement d'affronter l'opinion publique nationale et les familles des victimes et de gérer politiquement les événements. Ce n'est pas suffisant et ce n'est pas la règle dans les usages des régimes présidentiels qui imposent au président de la République en vertu des pouvoirs régaliens dont il jouit de fixer le cap en temps de paix comme en temps de guerre et de vivre en toutes circonstances en osmose avec son peuple. L'unique fois où il était descendu dans l'arène en se rendant presque instantanément au chevet des blessés et en intervenant à chaud dans une allocution radiotélévisée particulièrement musclée, dénonçant le terrorisme et ses commanditaires et promettant une lutte implacable de l'Etat pour venir à bout de ce phénomène, ce fut lors de l'attentat suicide de Batna ayant ciblé le cortège présidentiel. Les esprits bien ou mal pensants avaient estimé alors que Bouteflika était sorti de sa réserve traditionnelle parce qu'il y avait cette fois-ci péril dans sa propre demeure dans la mesure où il était personnellement visé par cet attentat. C'est une réaction légitime. Ceci, au-delà de l'exploitation politique qui pouvait être faite de ce geste. Bouteflika avait, les semaines et les mois qui suivirent, plusieurs occasions – les attentats sont un plat quotidien des Algériens – pour apporter la démonstration que c'était là un faux procès en sorcellerie qu'on lui faisait. Les attentats de mardi lui offraient, en effet, une nouvelle opportunité pour taire les commentaires et les critiques que suscite, dans certains cercles politiques et au sein de la vox populi, la gestion de la communication présidentielle par rapport à la question sécuritaire. Deux jours après le carnage d'Alger, le palais d'El Mouradia reste étrangement muet. L'éclipse du président Bouteflika de la scène alors que le pays est plongé dans un climat de psychose généralisée donne libre cours à toutes sortes de lectures et de supputations. Son silence est-il le signe d'un aveu d'échec de la politique de réconciliation dans laquelle le chef de l'Etat s'est engagé ? Serait-ce le prix politique à payer vis-à-vis de la mouvance islamiste qui a cautionné cette politique et sur laquelle le Président mise beaucoup pour concrétiser les objectifs qu'il s'est assignés ? N'avait-il pas demandé dans une de ses interventions de ne pas blesser ou froisser les sensibilités et la dignité des repentis et des islamistes ? Il reste cette interrogation lancinante qui se nourrit d'une rumeur qui ne fait qu'enfler au fil des jours et qui consiste à se demander si ce ne sont pas des raisons de santé qui ont empêché le président Bouteflika d'intervenir à la télévision et de se rendre au chevet des blessés.