Oscar Wilde, l'écrivain anglais qui traîna un moment ses guêtres à Alger, a laissé cette phrase délicieuse : « La différence entre littérature et journalisme, c'est que le journalisme est illisible et que la littérature n'est pas lue ». De manière plus austère, les spécialistes distinguent les deux à partir de la présence ou non d'une démarche esthétique. Ainsi, le journalisme serait l'expression d'une réalité et la littérature son inverse, soit la réalité d'une expression. Mais dans la vie, comme en maths, les limites sont toujours proches des dérivées. Journalisme et littérature s'entremêlent dans les genres, styles et démarches, particulièrement depuis le XXe siècle qui a rompu avec les classicismes. Ernest Hemingway, prix Nobel de littérature 1954, fut aussi journaliste. Il couvrit la guerre civile en Espagne puis la Deuxième Guerre mondiale où il croisa son compatriote et confrère John Steinbeck, prix Nobel 1962, auteur du célèbre Les raisins de la colère, lequel, après avoir été en sa jeunesse un chroniqueur social émérite, se compromit lamentablement à la fin de sa vie en soutenant l'occupation du Vietnam. En Algérie, ce double destin d'écrivain et de journaliste s'est retrouvé en Albert Camus et Kateb Yacine qui, à des périodes différentes, signèrent dans Alger Républicain. Réda Houhou, également, fut un brillant homme de lettres et de presse, dans El Baçaïr notamment. Plus proches dans le temps : Tahar Djaout, Abdelkader Djemaï, H'mida Ayachi, Areski Metref, Bouziane Ben Achour et d'autres encore qui, sachant les contraintes de calibrage des articles, nous excuseront de ne pas les citer. Le monde entier regorge d'exemples similaires où la tentation journalistique s'empare des écrivains tandis que des journalistes se voient pris par l'ardeur littéraire. Cette coalescence de la presse avec les arts et les lettres, déjà présente dans l'information culturelle, atteint parfois d'autres disciplines. Exemple célèbre, Su Manshu, l'écrivain chinois mort en 1918, auteur du sublime Le Cygne solitaire, qui fut aussi journaliste et peintre. Sur ces traces polyvalentes, citons chez nous Jaoudet Gassouma qui, dans la même journée, peut se retrouver devant un article, une toile et un manuscrit. Au fond, tout ce qui s'écrit, se peint, se déclame ou se chante participe de la même veine. Ce n'est pas Oscar Wilde qui nous aurait contredits. S'il se moquait du journalisme comme de la littérature, il en savait la vitale nécessité en tant que poumons de la respiration sociale, et ce, bien avant que le 3 mai ne devienne, en 1993, Journée de la liberté de la presse.