Avec son interprétation magistrale de l'Escargot entêté, il s'est affirmé comme un espoir de la scène théâtrale. Il affirme, ici, ses convictions, ses doutes, ses révoltes et surtout une vision. Commençons par le commencement… J'ai commencé de manière assez classique. J'avais 22 ans, lors de mon premier rôle. J'ai interprété la Mort dans une pièce jouée en hommage aux artistes et aux intellectuels assassinés. C'était à la maison de la culture de Sétif, avec la troupe Aniss. En fait, au début, je voulais faire de la guitare classique, mais le professeur de musique est parti et ce rêve avec lui. Comment êtes-vous arrivé dans cette maison de la culture ? C'était au lycée. J'avais acheté un billet pour une pièce de théâtre que présentait dans cette maison de la culture, la troupe du Théâtre régional de Béjaïa, que dirigeait le grand Malek Bouguermouh. C'était H'zam el ghoula (la ceinture de l'ogresse). Et c'est comme cela que j'ai commencé à fréquenter la maison de la culture et la culture, en général ! Et, depuis, c'est le théâtre… J'ai senti le besoin d'étudier le théâtre. J'étais encouragé par des amis à poursuivre dans cette voie. Parce qu'avant, j'avais essayé plein de pistes - même des études en agronomie - mais je ne me sentais pas trop présent dans la vie réelle. J'ai alors essayé de voir du côté de la vie fictive, et la vie d'un comédien sur scène répond aussi à cela. Il y a eu, alors, l'expérience de l'Institut national d'art dramatique (INAD) de Bordj El Kiffan. Comment cela s'est-elle passé pour vous ? J'ai fait mes études, là-bas, entre 1998 et 2002. C'était une période perturbée : les grèves, le déficit en encadrement, la catastrophe, quoi ! On était un groupe d'étudiants qui se prenait en charge, pour sortir de ce marasme. J'ai essayé aussi de m'enrichir à travers la vie de tous les jours. Tout cela dans un climat de guerre, puisque le pays connaissait les attentats et la terreur. Comment l'avez-vous vécu ? Vous voulez que j'en parle en usant de la langue de bois ? (Rires). En fait, je n'arrive pas à trouver une réponse : je suis dedans. C'est la position de l'observateur qui reçoit tout en pleine gueule. Je n'arrive pas à être triste. Cela ne veut pas dire que je suis content, loin de là. Mais la vraie question, celle qui me déroute réellement, c'est comment comprendre le mal. On est paralysé par l'ampleur de tout ce qui se passe. Et, en même temps, je me suis dit, parfois, que ce qui se passe est la suite logique : nous sommes dans un pays qui se cherche. Et, d'ailleurs, dans l'Escargot entêté, on a présenté un personnage algérien avec toutes ses contradictions. Et, quand on montre un Algérien aussi déséquilibré, aussi névrosé, c'est, en fait, révélateur de l'état de tout un pays. Et je pense aussi que nous sommes tous responsables parce que nous sommes passifs. Nous n'essayons pas de faire avancer les choses, chacun de son côté, chacun dans son petit coin. Même dans le théâtre ? Dans ce domaine, on dirait que les gens qui le pratiquent ne vivent pas le quotidien des Algériens. Regardez ce qui se passe au Théâtre national algérien (TNA). C'est bien de monter des pièces universelles, mais est-ce l'urgence ? N'a-t-on pas besoin, plutôt, d'un théâtre alternatif, actuel, inscrit dans l'ici et le maintenant ? Vous avez démissionné du TNA début janvier 2007. Pourquoi, et, de plus, à quelques jours du démarrage de « Alger, capitale de la culture arabe 2007 » ? Parce que ce n'est pas un espace de création. Quand je discutais à l'intérieur, on dirait que j'étais « crypté ». Ça ne passait pas. Certains voient dans le théâtre une manière de se faire de l'argent. Sans plus. Tellement médiocre…Et pour revenir à « Alger 2007, capitale de la culture arabe », c'est un grand mensonge sur l'état de la culture en Algérie. Parce que ce sont des milliards qui sont jetés par la fenêtre alors que nos instituts d'art dramatique ou de musique sont complètement sinistrés. On est encore dans la langue de bois. Il ne suffit pas de mettre des drapeaux de pays arabes face au TNA pour faire croire que c'est « l'année de la culture arabe » ! Peut-on nous dire pourquoi notre monologue a été refusé par le commissariat de la manifestation ? Ce n'est pas parce qu'on demande l'aumône. C'est une question de cohésion dans la démarche officielle. D'ailleurs, c'est malheureux de voir tous ces artistes demander à l'Etat de les materner. Dès que quelqu'un a mal aux dents, il interpelle le président de la République. Ce n'est pas à un président de faire un pays ! Nous, à Arc-en-ciel, on veut juste bosser. Il faut nous faire confiance. C'est tout. Parlez-nous justement d'Arc-en-ciel, votre association. Nous avons déjà monté plusieurs spectacles, dont Zoo story, mis en scène par Kamel Iaïche et l'Art de la comédie, mis en scène par Mohamed Mozarine. Des pièces universelles, mais « algérianisées » et actualisées. De belles pièces aussi, mais, malheureusement, jouées une seule et unique fois. Nous étions un groupe d'étudiants et des professeurs de l'INAD. En créant l'association, nous voulions inventer un espace de création, de créativité. Mais on ne trouve pas d'espace pour répéter, jouer et rencontrer le public. Alger, la capitale, ne dispose que d'un seul théâtre ! Quelle est l'histoire de cette dernière création d'Arc-en-ciel, le monologue l'Escargot entêté, que vous avez joué ? C'est Malek Laggoune - un des meilleurs metteurs en scène de théâtre de la place - qui m'avait proposé le texte de Rachid Boudjedra en 2005. J'ai, à mon tour, demandé à Kamel Iaïche de l'adapter et de le monter. Qu'est-ce qui vous a plu dans ce texte ? La prise de position. Se révolter. Un Algérien peut se révolter contre lui-même sans pour autant se révolter contre les agresseurs extérieurs : l'Etat, la société. Nous avons trop vécu dans les mythes : nous sommes des surhumains, parfaits, les meilleurs d'Afrique et du monde arabe, etc. Tout le monde te dit : « Je représente l'Algérie. » ! Alors que nous sommes juste des humains. Ce qui nous manque le plus, c'est de nous regarder dans un miroir. Et ce que je trouve magnifique chez certains auteurs, autant chez Boudjedra que chez Mustapha Benfodil, c'est qu'il n'y a pas d'autocensure, ils n'ont pas honte d'eux-mêmes, ils déballent leurs complexes, les tabous. Parce que, en fin de compte, pourquoi vivre et s'en cacher en même temps ? Pourquoi se cacher comme des rats, comme le fait le personnage de l'Escargot entêté, avant de décider de tout déballer ? Il faut comprendre que tous, nous sommes en train de construire ce pays, ensemble. Mais tout en construisant nos propres vies. Vous avez interprété Rachid dans Nedjma de Ziani Chérif Ayad, à l'occasion de l'Année de l'Algérie en France. Y a-t-il un avant et un après cette adaptation théâtrale du texte de Kateb Yacine ? Grâce à cette œuvre, j'ai compris ce que c'était l'Algérie : le rapport au père, les horreurs de la colonisation, etc. Au-delà de la beauté de l'œuvre, il y a aussi tout le poids de la référence historique. Kateb a questionné ses aïeux pour comprendre son époque. Et nous ne sommes que le résultat de ces passés-là. Une suite. Avec un père irakien, qui vit en Algérie depuis le début des années 1970, comment ressentez-vous ce qui se passe en Irak ? Le rapport avec l'Irak est complexe. (Silence). Ce qui s'y passe est absurde. Bien sûr que je me sens Irakien. Je n'y suis allé qu'une seule fois, à l'âge de deux ans, à Nadjaf…Je ne comprends pas les Américains. Je ne comprends pas pourquoi ce gouvernement aime tant se faire détester par le monde entier. Vous en parlez avec votre père ? On en parle. (Silence). En fait, mon père s'est trompé en essayant, quand nous étions enfants, d'occulter cette identité. Il ne voulait pas que nous soyons déchirés entre deux pays, dispersés. Mais je ne peux pas fuir mes origines irakiennes…J'attends, d'ailleurs, toujours le moment pour aller là-bas. Mais je vous rassure : je n'ai pas de problème identitaire (rires). Un dernier mot… Oui, par rapport à l'Escargot entêté. Nous avons tellement envie de partager ce spectacle avec le public. Il a, d'ailleurs, été conçu pour cela, pour fonctionner avec les spectateurs. Je lance donc un appel aux institutions et aux acteurs culturels de l'intérieur du pays pour le faire tourner partout en Algérie. Une manière aussi de bien le travailler…et de travailler. BIO-EXPRESS Né à Collo en 1973, Samir El Hakim étudie dans un lycée de Sétif où il commence à s'intéresser au théâtre. Il fréquente l'Institut national d'art dramatique de Bordj El Kiffan de 1998 à 2002 où avec un groupe d'étudiants et d'enseignantsil lance l'association théâtrale Arc-en-ciel. Il a joué dans plusieurs pièces dont l'adaptation de Nedjma de Ziani Chérif Ayad à l'occasion de l'année de l'Algérie en France en 2003 ainsi que dans Zoo story et L'Art de la comédie, des productions de Arc-en-ciel. En 2006 il rejoint le Théâtre national algérien (TNA) avant de démissionner en janvier 2007. Sa dernière performance, le monologue L'escargot entêté, adapté par Kamel Laïche du roman de Rachid Boudjedra, sera présentée au festival du monologue de Sétif le 20 mai prochain.