Mardi 26 juin. J-2 avant le choc de la coupe d'Algérie, un derby qui s'annonce très très chaud entre les deux frères ennemis : le MCA et l'USMA. Imaginez un peu un sommet Inter Milano-AC Milan à l'échelle de Bab El Oued ! Depuis la qualification des deux clubs les plus en vue de la capitale, Alger vit au rythme des deux galeries de supporters, et l'ambiance va crescendo à mesure que l'on s'approche du 28 juin. Toute la capitale est pavoisée aux couleurs emblématiques des deux protagonistes : le rouge et le vert pour le Mouloudia. Le rouge et le noir pour l'USMA. Des fanions, des drapeaux, des chapeaux, des porte-clés, des bracelets, des ombrelles, des écharpes, des autocollants, tout un arsenal d'accessoires mobilisés en force pour la circonstance, à croire que des spécialistes en merchandising de quartier veillent à l'exploitation marketing de l'événement. A l'évidence, tout le monde garde à l'esprit la grande explication du 15 juin 2006 qui s'était soldée en faveur du Mouloudia par 2 buts à 1. Deham, rappelle-t-on, avait crucifié les camarades de Achiou avant de s'envoler pour Kaiserlautern, son nouveau club. Les fans du MCA parlent de doubler la mise. Ceux de l'USMA, de mettre un terme au signe indien qui a toujours fait pencher le score en faveur de l'éternel rival lors des trois confrontations qui ont opposé les deux clubs en finale de Dame coupe. « On a toujours gagné nos duels en Coupe. En 1971, en 1973 et en 2006. Il n'y a pas de raison à ce qu'on ne remporte pas cette manche encore », conjecture Othmane, un employé d'un labo photo rue Didouche, avec assurance, comme pour dire « jamais trois sans quatre » ; et de parier sur le « score de 1 à 0 après prolongations ». Amine, son acolyte, un autre fervent du Mouloudia, dit sportivement : « Que le meilleur gagne ! L'an dernier, si on avait perdu, ç'aurait été un deuxième 5 octobre. Mais cette année, maâliche. On accepte l'issue du match ». Rue Richelieu. Une large banderole en rouge et noir s'étend d'un balcon à l'autre entre deux immeubles. Tout autour, dans les cafés, dans les boutiques, au marché Clauzel, on n'entend que cela. La grosse affiche alimente toutes les « discussions », et la perspective d'une revanche pour l'USMA ne fait que pimenter davantage l'événement, lui conférant des allures de feuilleton à suspense. Extrait d'une polémique de taxi sur la ligne Sahat Echouhada-Bab El Oued entre un chauvin du MCA et un islamiste visiblement neutre. « Brabbi Inchallah neddouha. Avec l'aide de Dieu, la coupe est pour nous. Même Bouteflika est Mouloudia », lance le client chenoui. Le barbu lui rétorque : « Machekitch (Je ne pense pas). Bouteflika est un fervent supporter de l'ES Sétif. » Et de lancer : « J'espère que les Usmistes l'auront, eux au moins ils ne cassent pas. » Son contradicteur objecte : « Au contraire, il faut que le Mouloudia ait la coupe, sinon, les Chnawa vont tout saccager. Combien vaut la coupe d'Algérie, 400, 500 millions ? La facture sera beaucoup plus élevée pour reconstruire Alger. Alors, ils ont intérêt à ce que le Mouloudia gagne. » Cheb Toufik, ambassadeur du MCA Bab El Oued. Rue Mohamed Boukella. Devant un attroupement de Mouloudéens s'arrachant un album signé cheb Toufik, supporter invétéré du MCA, on aperçoit… cheb Toufik himself. Un sachet plein de CD à la main, il s'affaire à réguler manuellement le marché des chants sportifs. Avec beaucoup de volontarisme, il nous explique : « Je viens de mettre sur le marché cet album que j'ai composé pour mon club de toujours, le Mouloudia, sorti aux éditions Sun Claire, à Chevalley. Nous avons tiré 75 000 exemplaires. Il se trouve que des profiteurs le revendent à 150, voire 200 DA alors que moi, je le cède à 50 DA. Khalli echaâb yesmaâ ! » Extrait de l'album : « El Mouloudia raça elli ikhallat fiha bassa (...) Had el match ettali wenwerroulkoum el bourhane, h'na issemouna chenawa wentouma Hanane. » En raïman engagé à sa manière, il se veut pédagogue, lui qui a chanté pour le président Bouteflika et pour la Journée de l'arbre, comme il tient à le souligner. « J'ai chanté pour aïd echadjara, pour aïd ettoum (la journée de l'ail, sic), et quand est arrivée l'année de la culture arabe, on m'a ignoré. C'est injuste ! », s'indigne-t-il avant de nous annoncer son intention de chanter à la Fête de la police. L'artiste, qui tangue entre son quartier de toujours, Bab El Oued, et la ville de Marseille où il est installé, sera aux premières loges au stade du 5 Juillet. Et de lancer ce message aux supporters : « Moi je dis que les voyous nous laissent en paix. Il y a des ouled familya au Mouloudia. Le MCA et l'USMA sont une même famille. Moi, si l'USMA gagne, j'irai défiler avec eux. Il ne faut pas laisser les âraya nous gâcher la fête. Et que le meilleur gagne ! » Véritable star dans son quartier, notre cheb de 38 ans fait volontiers l'éducateur des jeunes. « Moi, je suis supporter du Mouloudia depuis l'âge de 8 ans. J'allais au stade avec mon père, chose qu'on ne peut plus faire aujourd'hui. Il faut que les autorités fassent quelque chose pour endiguer toute cette violence qui pourrit notre football. D'ailleurs, j'ai créé une association spécialement pour éduquer les gens. Il y a quelques jours, j'ai été à l'hôpital Parnet distribuer des CD et des posters aux malades et je vais faire de même à l'hôpital Mustapha Bacha », dit-il. Se joint à nous son frère Walid, supporter du MCA et parolier de son chanteur de frère. Cheb Toufik promet de co-animer aux côtés de Mourad Djaâfri, un aficionado de l'USMA, la grande fête du 5 Juillet (le stade). Rue Colonel Lotfi. Un maillot géant aux couleurs du MCA est déployé entre deux bâtiments aux côtés d'une large banderole USMA. Une belle image de cohabitation pacifique. Bab El Oued est majoritairement mouloudéen, assurent ses habitants, Soustara et Cadix étant le fief traditionnel des Rouge et Noir. Il n'est pas jusqu'aux enseignes, jusqu'aux couleurs des vitrines qui ne rappellent cette donnée sociologique que l'on est bel et bien en territoire mouloudéen. En territoire « mouloudéen » à Bab El Oued Des jeunes revendent des tickets. Les prix flambent : de 300 DA, le tarif officiel, ils caracolent à 500 et 600 DA au marché noir. « Le jour J, ils pourraient facilement atteindre les 1000 DA, voire plus », affirme un jeune. A la place mythique des Trois Horloges et sur les trottoirs de la rue Basta Ali, une pléthore de vendeurs proposent en commerçants intelligents des articles Mouloudia et USMA, pêle-mêle. Tout un business florissant. Des maillots estampillés « Bouguèche » et autre « Younès », les coqueluches du MCA, sont cédés à 500 ou 600 DA. Des fumigènes sont proposés à 900 DA, des fanions à 250 DA, des ombrelles à 200, des CD à 100 DA. Où les mioches trouvent-ils l'argent pour acheter et le ticket et la nourriture et le shit et le reste ? « Ce sont des débrouillards. Ils revendent des petites bricoles, des téléphones portables volés, ou commettent des larcins s'il le faut. Tous les moyens sont bons pour aller au stade », dit un marchand. D'où le surnom que se donnent les Mouloudéens dans leurs hymnes : kamikazes. Bab El Oued grouille de supporters fanatiques. Le quartier est en pleine effervescence. Les chants des stades fusent de partout. Des voix scandent en chœur : « Bab El Oued echouhada », l'hymne des événements du 5 Octobre. Un camelot, harnaché avec panache à l'effigie du Mouloudia, assure : « La Coupe est à nous. Ils ont même ramené un bus d'Allemagne pour hisser les joueurs dessus, afin de pouvoir défiler avec la coupe dans les rues d'Alger. » Encore des affiches spectaculaires. « MCA la Nasa », martèle un slogan triomphal. Sur une banderole, sont portés des sortes de caractères chinois. Il faut savoir en tout cas qu'une bonne partie de tout cet attirail chnawi est fabriquée en… Chine. La boucle est bouclée. Rue des Frères Amrane. Nous sommes au café dit Charone, poche de l'USMA. Des fans du club portent des maillots rouge et noir. D'un lecteur CD, sont diffusés des hymnes à la gloire de l'Itihad en scandant « El Hamra Milano ». Magnéto : « L'USMA etalaâ fel babor harraga aller-retour/ La Coupe lina Inchallah estarna ya moulana. » Pour le jeune gérant du café, il ne fait aucun doute que la bande à Allik aura le dernier mot aujourd'hui. Rue Slimane Hattab. Sur une banderole géante en rouge et noir « 1937-2007 : 70 ans de bonheur. » En face, une autre banderole géante rappelle que c'est le MCA le doyen, le club ayant été fondé en 1921. « On l'appelait alors ‘‘Chifoune'' parce que les joueurs militants du Mouloudia entraient au stade en guenilles défendre leur honneur avec une hargne nationaliste », explique-t-on. Des cortèges de voitures défilent à coups de klaxons sur le boulevard Abderrahmane Mira. Sur l'esplanade attenante à la plage R'mila, des stands de la police faisant une campagne anti-drogue. Sous les chapiteaux de l'expo, des drapeaux MCA et USMA avec le drapeau algérien au milieu. Tout un symbole. En face, le cercle de l'USMA surplombé par les bureaux du président du club, Saïd Allik. Où sont les comités de supporters ? Samir, 30 ans, est un inconditionnel de l'USMA et un habitué du cercle. Il fait partie de l'encadrement des supporters, bien qu'il n'y ait pas de véritable comité, lacune que partagent tous nos clubs, du reste. « Nous n'avons pas à proprement parler de comité de supporters, mais nous avons des sages qui sont très respectés par notre public », dit Samir. « Aujourd'hui, dès 7h30, nous allons investir le stade pour préparer la décoration et installer l'équipe qui va animer la galerie de supporters », ajoute-t-il. Pour lui, les deux écuries font partie de la même famille. « La rivalité doit être circonscrite au petit carré vert où se déroule le match. Mais c'est une rivalité saine. Dans une même famille, on peut trouver l'un USMA, l'autre Mouloudia. » Les fauteurs de troubles, insiste Samir, n'ont rien à voir avec le foot. « Ce sont des gens qui se greffent sur les supporters pour commettre leurs forfaits », affirme-t-il. Notre usmiste est formel : « Si cette année, on perd encore face au Mouloudia, nous n'allons plus relever la tête. » Mais pour lui, logiquement, la victoire va (enfin) sourire au club de Rachid Belhout. « Nous sommes 4es, tandis que le Mouloudia est 12e. Si la victoire dépendait du nombre de supporters, la Chine aurait remporté 4 ou 5 fois la Coupe du Monde », argue-t-il. Comme nous le disait cheb Toufik, pour lui aussi « le Mouloudia marahoumch m'lah », un slogan que ne cessent d'ailleurs de répéter les fans du doyen. Samir pense que la victoire de l'an dernier était entachée de manipulation. « C'était une victoire politique », assène-t-il. Basse-Casbah. Sur une large banderole est écrit : « Katchawa + Rue Boutin = La Kamoura ». Les références italiennes se multiplient d'un côté comme de l'autre. Les aficionados usmistes réclament pas moins qu'une « vendetta ». Les banderoles alternent le long de la rue Bouzrina (ex-rue de La Lyre). A Soustara, on est en plein fief USMA. Tout le quartier est barbouillé de rouge et noir. Un t-shirt géant est plaqué sur un immeuble, en haut de la rue Debbih Chérif. De petits drapeaux, parfois des deux équipes, ornent les fenêtres. Même décor au long de la rue Larbi Ben M'hidi. A un moment donné, se compose un tableau en trompe-l'œil avec une forêt de banderoles ayant pour arrière-fond la statue équestre de l'Emir. A propos, l'Emir Abdelkader est Mouloudia ou USMA ?