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Les partis pris des médias américains
Publié dans El Watan le 02 - 11 - 2004

Difficile, par les temps qui courent, de ne pas prendre acte du parti pris des médias américains dans la campagne présidentielle. Ce qui a fait dire au chroniqueur du quotidien Los Angeles Times, David Shaw, que jamais dans l'histoire des Etats-Unis les médias n'auront joué un rôle aussi important et controversé dans une campagne électorale.
En effet, d'une part, les grands quotidiens nationaux de référence, comme le New York Times et le Washington Post, se sont jetés dans la course électorale avec complaisance pour le candidat démocrate John Kerry, alors que la chaîne câblée Fox News présente un point de vue résolument partisan à l'égard de l'Administration du président George W. Bush. Si bien que les animateurs de cette chaîne, tout en se targuant de véhiculer une information « juste et équilibrée », mettaient en garde leurs auditeurs contre l'usage que faisaient les médias « libéraux » -véritable anathème dans la bouche des républicains- d'un nouveau rapport du groupe de recherche sur les armes de destruction massive en Irak. Alors que la plupart des reportages relevaient les conclusions du rapport sur l'absence de telles armes, Fox martelait qu'il « confirmait » les intentions guerrières du dictateur Saddam Hussein et, du même coup, la légitimité de l'invasion de mars 2003. Sans doute, les médias américains sont, aujourd'hui, fortement polarisés. On se rappellera tout de même que durant plus d'un an, ces mêmes médias ont ajusté et harmonisé leurs lignes éditoriales en acceptant de diffuser des informations fallacieuses émanant de l'Administration Bush. Des informations à tel point mensongères, souvent forgées de toutes pièces, que des grands quotidiens nationaux, dont The New York Times et The Los Angeles Times, ont été contraints de faire leur mea-culpa et de présenter des excuses à leurs lecteurs. Par exemple, l'animateur vedette Dan Rather a dû s'excuser pour avoir diffusé un reportage s'inspirant de faux documents sur les passe-droits dont aurait bénéficié George W. Bush lorsqu'il était à la Garde nationale du Texas. Selon le directeur de la rédaction, depuis 1971, de la prestigieuse revue libérale Harper's Magazine, Lewis Lapham, « en Amérique, en 2004, neuf grands groupes industriels commercialisent 90 % de l'information. Les grands médias américains sont le fruit d'un système d'éducation élitiste. Conformistes, ils sont très réticents à s'écarter du troupeau ! C'est la raison pour laquelle ces médias ont diffusé, jour après jour pendant des mois, la désinformation concoctée par les spécialistes en communication du Pentagone et de la Maison-Blanche. Une pratique scandaleuse aux antipodes d'une tradition séculaire de la presse américaine, celle qui animait les débats à l'époque où Abraham Lincoln fustigeait la théorie de "la destinée manifeste" de l'Amérique, invoquée pour justifier l'invasion du Mexique en 1846. » Pour les nostalgiques d'une démocratie bruyante et protestataire, l'attitude des médias américains laisse perplexe, et d'aucuns s'interrogent sur la qualité et la crédibilité de l'information qu'ils véhiculent. L'information est-elle juste et équilibrée ? Ou encore, existe-t-il une information crédible ? Les militants républicains affirment depuis des décennies que les médias traditionnels sont orientés à gauche et ne reflètent pas adéquatement les valeurs de la population générale, mais l'insatisfaction s'étend aussi aujourd'hui aux démocrates et aux personnes disant ne pas être alliés à l'un ou l'autre des deux principaux partis. Selon un sondage du Pew Research Center for the People and the Press paru il y a quelques jours, 40 % des Américains, toutes allégeances politiques confondues, estiment que la couverture médiatique du président George W. Bush n'est pas équilibrée et 30 % en disent autant de la couverture du candidat démocrate John Kerry. Ces chiffres sont 15 points de pourcentage plus élevés que ceux ayant été relevés lors de la campagne de 2000 opposant M. Bush à Al Gore. Complaisance et esprit partisan ne font qu'exacerber les soupçons envers la faune journalistique au point qu'une « masse critique d'Américains cherche à se rassurer en se référant à des médias qui font écho à leurs propres positions. Bien qu'ils ne le diront pas ouvertement, ils réclament des médias partisans comme on en trouvait au XIXe siècle », prétend Todd Gitlin, spécialiste des médias à l'Université Columbia. Certains journalistes soulignent que le retour à la « nouvelle orientée » (news with attitude), également palpable dans l'engouement pour des documentaires partisans comme Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, n'est pas sans péril. « Si les Américains aux deux extrémités du spectre politique veulent avoir de la nouvelle orientée, ils vont perdre l'objectivité que les gens des médias ont traditionnellement tenté de leur fournir », prévenait récemment le journaliste vedette Ted Koppel. « Nous n'avons pas toujours réussi, mais nous avons essayé », a-t-il ajouté. Le Columbia Journalism Review, référence dans le milieu journalistique aux Etats-Unis, ne croit pas pour sa part que les médias américains présentent d'importants partis pris idéologiques. « Il y a des exceptions, bien sûr, mais le journaliste type n'est pas un guerrier idéologique et le problème de l'esprit partisan des médias ne mérite pas l'attention qu'il reçoit », soulignait la revue dans un éditorial paru il y a quelques mois. David Shaw, estime quant à lui, que les médias seront les grands perdants de cette élection. « Le journalisme est devenu plus politique et plus personnalisé dans ses attaques. Dans mon texte paru dimanche, je citais Todd Gitlin qui parle de paramédias pour décrire les blogues, émissions de talk radio et autres médias parallèles qui sont utilisés par les partis politiques pour véhiculer un message jusque dans les grands médias. Comme le mentionne Nicholas Lemann de l'Université Columbia, le journalisme va devoir prouver sa légitimité en tant que fournisseur d'information impartiale. Et après cette élection, ce sera difficile », affirme-t-il. Que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs, le journalisme peut-il ne pas être partisan, sectaire ou manichéen ?

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