C'est un film dont l'intrigue est construite autour de Malo Bernard, jeune enseignant révolutionnaire. Cet opus est le fruit d'un véritable travail d'adaptation du roman Sango Malo, le maître du canton. Au début du film, la caméra de Bassek nous conduit devant un tableau d'affichage, où un groupe d'étudiants sont venus consulter leurs résultats. Dans la foulée, Malo est mis en évidence avec des tas de bouquins à la main, ce qui a priori force l'attention de quelques collègues, dont N'gor qu'il finira par épouser plus tard. Affecté à Lebampzi, un village où il est appelé à transmettre son savoir, Malo s'est assigné une mission tout à fait délicate, mais en mettant en rude péril l'ordre social établi. Ce qui, de facto, n'a pas tardé à dégénérer en conflit entre lui et les habitants de ce village ; en particulier le directeur, l'inspecteur, le chef du village… Bassek, traite un sujet social, celui du clivage entre les générations ; de la résistance de la tradition face à la modernité, gage du développement de toute société. La trame de l'intrigue subtilement tissée, les faits suggérés servent à la compréhension du dénouement qui prend un angle politique. N'est-ce pas là une dénonciation du comportement de l'élite africaine qui, dans la précipitation de vouloir tout changer au même moment, a poussé l'Afrique dans le gouffre du sous-développement ? À travers ce film, le réalisateur nous montre deux personnages qui n'ont pas la même vision sur l'éducation ; le modèle d'enseignement adéquat dans un village où les terres sont fertiles, où la pluie n'est pas une denrée rare. Il s'agit du directeur d'école et de l'enseignant Malo. Il y a le directeur d'école, toujours habillé en veste, donc symbolisant la rigueur et la discipline. Comme une caisse de résonance, ses savoirs livresques traditionnels sont et demeurent l'unique voie d'éducation des élèves et tout hors-la-loi à cette règle est sévèrement puni. C'est l'exemple de la scène montrant un élève, dans la salle de classe, puni pendant que les autres suivent le cours. Conservera-t-il ce cliché que Bassek a choisi pour détruire ses ambitions lorsqu'il refusa de participer à l'arrestation de Malo ? Ensuite, Malo Bernard, jeune enseignant intelligent mais subversif. Son attitude montre la dichotomie entre utopie et réalité. Ses ambitions, a priori bonnes, suscitent l'adhésion du public, mais donnent lieu à des contestations. Son échec, c'est qu'il n'a pas pu associer tout le monde à son projet, en plus, le « je » dominant dans son vocabulaire l'érige en leader égoïste et totalitaire. Voulant tout décider de lui-même, balayer la tradition ; où les élèves passeront plus de temps dans les champs qu'à l'école ! Sa façon condescendante d'agir dressera toute la communauté contre lui, et le seul ami qu'il finira par avoir serait « Voit tout ». Pourquoi donc cette amitié avec « Voit tout », qui a perdu toute sa famille et qui noie ses soucis dans l'alcool ? Que suggère ce contraste entre un militant combatif et un soûlard qui sera le premier témoin à annoncer son retour de prison ? Bassek, ne se contente pas seulement de montrer une réalité, celle du modèle d'éducation adapté en Afrique, mais il propose sa vision sur les facteurs qui ont poussé l'élite africaine à l'échec au moment où ils devraient prendre la destinée du continent. Son film invite et interpelle à une profonde interrogation sur la manière de gouverner l'Afrique, dont les contemporains doivent s'inspirer et ne pas refaire les mêmes erreurs du passé. Le réalisateur termine son film, sur une note qu'il veut optimiste, pour redonner l'espoir dans une réalité lugubre. L'annonce faite par « Voit tout » aux villageois : il sera là lorsque les envahisseurs auront disparu. Peut-être, est-ce le retour que l'Afrique attend pour amorcer son décollage économique. C'est l'enjeu du film, son mérite aussi. Yohanès Akoli (Sudplanet.net)