Le réalisateur français, auteur du film culte oscarisé Un Homme et une femme, Claude Lelouch, 70 ans, contre toute attente, a troqué sa célébrité pour une réalisation anonyme de son dernier film Roman de gare. Rencontré à Paris, nous avons découvert un Claude Lelouch écorché vif, vrai, entier, utile et pas du tout futile face aux politiques, sans ambages ni fard ou encore fioritures, poussant des coups de gueule et des coups de cœur surtout pour l'Algérie où il a passé son enfance et puis cette ardeur filmique jurant avec la gérontologie. Quelle idée d'adapter une réalisation anonyme de votre dernier film Roman de gare... ? Parce que, tout simplement, après avoir fait 40 films, j'avais envie d'être tranquille, de faire un film tout neuf, ne pas avoir de pression, d'être heureux pendant un an, et de ne pas avoir à rendre compte à personne. En plus, c'est le sujet du film. Donc, je voulais être à la fois des deux côtés de la caméra. A l'intérieur et à l'extérieur. Je me suis amusé à faire « joujou » comme l'avait fait Romain Gary. J'avais envie que les gens aillent voir un film normal, pas comme aller voir un film de Claude Lelouch. Aujourd'hui, quand on va voir un film de Woody Allen, c'est aller se payer une toile de Woody Allen. Et les gens ont déjà le sentiment d'avoir vu le film, avant de l'avoir découvert. Le réalisateur Claude Lelouch en avait marre de la pression des médias... ? C'est vrai, j'en avais marre d'entendre toujours le même discours, de lire les mêmes articles. Chaque fois que je sortais un film, ils (les critiques de cinéma) écrivaient la même chose. Donc, c'était un petit peu pour obliger les médias à se réveiller, quoi ! La pression des médias est-elle grosse et pesante pour vous ? Mon dernier film, Roman de gare, ils l'ont adoré. Il n'y a pas eu de problèmes. Je voulais me cacher, revenir vers le monde. On a tous envie de se réincarner dans une même vie. J'avais envie un petit peu de voir les réactions des gens face à un de mes films. Roman de gare a plus de luminosité et de brillance par rapport aux autres films... Vous savez, normalement le dernier film devrait toujours être le meilleur que les précédents puisqu'on essaie de ne pas répéter les mêmes erreurs, voilà ! Ce n'est pas à moi de le dire, en tous les cas. Ce qui est sûr, c'est que je m'amuse de plus en plus à faire des films. A l'âge de 70 ans ! Qu'est-ce qui vous inspire ? Je me suis toujours inspiré de mes observations. Toutes les histoires que j'ai racontées dans mes films sont vraies. Tous les personnages de mes films existent. J'essaie de faire un cinéma qui soit basé sur la sincérité s'adressant plutôt aux cœurs qu'à l'intelligence des spectateurs. Je n'ai plus du tout confiance en l'intelligence. Celle-ci a trop le sens des affaires. Tous les artistes sont là pour parler aux cœurs. Donc, c'est ce cinéma-là que j'essaie de faire. Un cinéma sur des parfums véridiques. La vérité n'existe pas, personne ne la connaît et ne la détient. La vérité, c'est comme le bonheur, c'est très court (sourire). Ce sont des petits instants comme cela où les êtres humains sont, à un moment donné, généreux. J'ai toujours filmé des femmes et des hommes qui m'intéressaient. Et j'aime autant les méchants que les gentils. Je ne suis pas là pour congratuler ou juger les uns et les autres. J'essaie d'être un arbitre. Je pense que l'humanité vit une aventure extraordinaire. Le plus grand film que l'on puisse imaginer. Donc, moi, je me contente de faire de petits trailers (bande-annonce), quoi ! (rires) Etes-vous un directeur d'acteurs, de casting ? Dans un film, le casting, après l'histoire, c'est ce qu'il y a de plus difficile. Et cela relève du miracle, à chaque fois (rires). C'est un peu comme la loterie quant au choix d'un acteur par rapport à un autre. C'est très irrationnel. Un casting est une somme d'injustices. Pour chaque rôle, il y a au moins dix acteurs qui seraient possibles. Donc, je me laisse porter encore une fois par des choses irrationnelles. Ce n'est jamais mon intelligence qui choisit. Ce sont des choses que je n'arrive pas à expliquer. Votre casting est quelquefois inclassable comme le choix de Bernard Tapie ou d'Ophélie Winter... Parce que je choisis souvent des gueules. Le visage des gens est très important. Tout est écrit sur un visage. Le physique de quelqu'un nous renseigne totalement sur ce qui il est. Moi, je dis qu'il faut se fier aux apparences (rires). Roman de gare est un film sur les apparences, le délit de faciès, les idées reçues... Oui, Roman de gare, mon dernier film, est celui portant sur les apparences. Un film sur le délit de sale gueule. Donc, le physique des acteurs était très important dans Roman de gare. Au début du film, pour tout le monde, cet homme est coupable, et à la fin on a envie de le prendre dans nos bras (rires). C'est dire à quel point on peut se tromper de jugement. C'est un peu l'histoire de l'humanité. Avec 40 films au compteur portant sur la complexité des sentiments du genre humain, pensez-vous faire un film sur un sujet grave, d'urgence et plus humaniste ? Oui ! Là, je prépare un film qui s'intitulera Ces Années-là. Et ce sont toutes les années que j'ai eu la chance de vivre (sourire). Voilà, je vais essayer de réaliser ce film pour mes enfants. Un film autobiographique... Non, un film sur ma mémoire et celle de mes parents commençant en 1900 et se terminant aujourd'hui. Avec des référents vous ayant marqué... Oui, ce sera un film très musical. Ce sera une comédie musicale. Vous intéressez-vous à la politique ? Oui ! Je m'intéresse à la politique comme je m'intéresse à un spectacle. Pour moi, c'est un spectacle (la politique) très révélateur de la sincérité de certaines personnes. Je pense que les gens choisissent plutôt ceux qui sont sympathiques que ceux ayant un programme (rires). La politique, pour moi, c'est quelque chose de cruel. Car les politiciens sont obligés de mentir en permanence. Donc, ils ne peuvent pas être fiables. C'est là où il y a plus de trahison. Pour moi, la politique est une question d'individu. C'est comme croire en Dieu. S'il n'y a pas de générosité, il n'y a pas de politique. La politique, c'est l'art de s'intéresser aux plus défavorisés. Les gens malins n'ont pas besoin de politique. La politique, c'est souvent de la démagogie. Connaissez-vous le cinéma algérien... Non ! Mais j'ai très envie de rencontrer des cinéastes et acteurs algériens, vraiment ! Vous avez vécu en Algérie... Oui, absolument ! J'ai vécu en Algérie quand j'étais enfant. Donc, je suis très attaché à l'Algérie. J'ai des souvenirs. Je connais bien Alger où je vivais. Aussi, le cinéma algérien m'intéresse. L'histoire de l'Algérie m'intéresse. C'est un pays où j'aimerais bien retourner, d'ailleurs. Alors, vous viendrez présenter Roman de gare... Voilà, avec plaisir ! Itinéraire d'un enfant gâté Claude Lelouch est né le 30 octobre 1937. Au départ reporter, il fonde en 1960 sa propre société de production : Les films 13. Après quelques échecs financiers, il réalise quelques publicités et près de 130 scopitones (dont Tous les garçons et les filles de mon âge, L'école est finie). Il achève des films, mais sans succès, comme La Femme Spectacle en 1964. C'est avec Une Fille et des fusils, la même année, que Claude Lelouch trouve enfin le succès (Prix de la mise en scène au Festival de Mar del Plata et le Grand Prix du jeune cinéma de Hyères), puis Un Homme et une femme lui amène un triomphe sans égal, avec la palme d'or en 1966, 2 oscars (celui du film étranger et celui du scénario original) et quarante-deux récompenses internationales. Des œuvres comme Les Uns et les autres en 1981 le ramèneront à des retrouvailles avec son public, suivies d'Attention bandits en 1987 et Itinéraire d'un enfant gâté en 1988. Après l'échec commercial de Cette Belle histoire en 1992, il remonte l'estime du public avec Tout ça… pour ça en 1993, qui met en scène les trois dernières femmes de sa vie : Evelyne Bouix, Marie Sophie Berthier, Alessandra Martines. En 1996, Les Misérables remporte le Golden Globe du meilleur film étranger, mais ses films suivants ne gagnent plus la reconnaissance du public. Il réalise successivement Une pour toutes, And now ladies and gentlemen, Le Genre humain, Les Parisiens, Le Courage d'aimer. En 2006, il produit le film Nos Amis les terriens de Bernard Werber, l'année suivante ; il met en scène Roman de gare avec Dominique Pinon et Fanny Ardant.