Dans ce film, il y a deux histoires qui se mélangent au Maroc, une autre au Mexique et une dernière au Japon. Comment va le monde? Il ne va pas trop bien, merci! Cela pourrait être le début d'un dialogue beckettien. Il renseignerait alors sur la situation de la planète et l'état mental d'une partie de sa population qui se complairait, dirait-on, dans une entreprise systématique du déni de soi, de sa propre dévalorisation. Les films, ici, à Cannes en l'occurrence, renseignent, en partie, sur tout cela et bien d'autres choses encore. Un maille à l'endroit pour la petite histoire, une maille à l'envers pour la grande et le tour est joué! Sauf que le traitement de la grande Histoire reste tributaire beaucoup plus de l'existence de moyens financiers considérables, essentiellement. Alors se pose la question de la superposition adéquate du talent et du ...pognon. Les Américains restent maîtres en la matière. Ils peuvent aussi bien se planter, comme dans l'exécrable Vol 93 de Paul Greengrass qui, à cause surtout de son absence de nuance, est passé à côté d'un film fort sur les dernières minutes du vol de la United Airlines empêché, par ses passagers en révolte, de s'écraser sur un édifice public, le 11 septembre 2001. Un des plus criminels actes terroristes, qui trouveraient son triste pendant, dans l'attentat du boulevard Amirouche à Alger, par exemple, est ainsi passé à la moulinette du discours bushien, celui relatif à cet «axe du mal»....dont on sait depuis Guemar, Bentalha, Raïs etc. qu'il est dépourvu de toute rectilignité... Et puis on a heureusement, d'un autre côté, une illustration de l'utilisation intelligente des gros moyens avec l'exemple, d'au moins deux films : Indigènes (Rachid Bouchareb) et Babel (Alejandro Gonzàlez Inàritu). Bouchareb a utilisé de fort belle manière le budget «effets spéciaux». Le travail d'amplification numérique des effets pyrotechniques est tout simplement remarquable! Compositing 2D, multipasses, 3D, matte painting, toutes les techniques ont été exploitées. Plus de 60 plans ont été truquées, afin de, composting 2D aidant, multiplier le nombre de soldats, d'explosions. La réalisation de matte painting a permis aussi l'ajout de chaînes de montagnes, en arrière-plan ou de détails champêtres pour donner un côté «italien» à cette bataille de Monte Cassino, filmée dans l'Atlas marocain. Le 3D a permis, pour sa part, la constitution d'une véritable armada d'avions d'époque et même d'une véritable flottille de navires de la Task Force en route vers les côtes du sud de la France!... Le résultat est tout simplement impressionnant sur un film tourné en 35 Scope (ce qui nécessite une plus grande précision qu'en Super 35, par exemple). Il est d'autant plus impressionnant qu'il est peu visible à l'oeil nu! Chez le Mexicain Inàritu le même souci de bien faire est patent. Connu pour son merveilleux Amours Chiennes, un premier film qui reçu plus de 50 récompenses à travers le monde, le réalisateur de Babel a avec la même discrétion, déployé une débauche de moyens, de manière fort intelligente afin de ne rater aucune réaction, aucun détail qu'une unique caméra ne peut capter à elle seule. Dans Babel il y a deux histoires qui se mélangent au Maroc, une autre au Mexique et une dernière au Japon. Pour tourner cette histoire à tiroirs, devenue depuis, une spécialité du maître mexicain, il a fallu, pour que les différents volets s'imbriquent les uns dans les autres, faire appel à une seconde équipe. Même le support changeait d'un pays à l'autre: au Maroc le tournage a commencé en 16mm pour finir en 35mm. De même que la pellicule changeait en fonction de chaque séquence, question d'émulsion, plusieurs fois en une même journée. Tout cela au service d'une histoire empreinte d'humanisme et qui, espérons-le, ne laissera pas indifférent le jury cannois: en plein désert marocain, un coup de feu déchire l'air. C'est le début d'une série d'événements impliquant un couple de touristes américains au bord du naufrage conjugal, mais qui continue à se mentir (meilleure façon de tuer l'autre à petit feu), une nourrice qui voyage illégalement avec deux enfants américains aussi, une très jeune Japonaise en rupture de ban et dont le père est recherché par la police nippone. Et enfin, deux jeunes Marocains auteurs d'un homicide involontaire. Leurs cultures différentes ne vont pas leur épargner de vivre une même sensation de solitude et de peine, perdus qu'ils sont dans le désert et donc de plus en plus étrangers à eux-mêmes. Ces «épaves humaines» vont devoir expérimenter les pires moments de peur et de confusion. La métaphore biblique de la Tour de Babel, célèbre édifice construit par une humanité unie pour atteindre le paradis et qui s'effondra face à la colère divine, est patente. En mettant à terre cette entreprise qui renseigne sur la prétention démesurée de l'humain, parfois, les hommes impliqués se sont séparés et donc été forcés de parler des langues différentes. D'où le début de l'incommunicabilité, fruit de l'arrogance et du secret désir de manipuler le groupe pour le mener là où l'on veut, au risque de l'annihiler et de se détruire par là même... «Ils découvrent aussi la valeur de l'amour et du lien qui unit les hommes...» précise le réalisateur, Alejandro G.Inàritu que l'on espère voir récompensé de la plus belle manière à Cannes.