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Cengiz Aktar. Politologue, professeur des relations internationales à l'université de Bahçesehir (Istanbul)
« L'ancien establishment perd ses pouvoirs »
Publié dans El Watan le 25 - 07 - 2007

Cengiz Aktar est aujourd'hui directeur du Centre pour l'Union européenne à l'université de Bahçesehir. Il a été professeur d'études européennes à l'université de Galatasaray d'Istanbul et a dirigé l'ouvrage collectif Lettres aux Turco-sceptiques, aux éditions Actes Sud.
Que signifie la victoire d'AKP aux législatives du 22 juillet dans une conjoncture particulière pour la Turquie ?
La victoire d'AKP signifie clairement la victoire de la vie parlementaire d'abord. Elle signifie aussi une reconnaissance du travail bien fait du gouvernement d'AKP, à sa tête le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Les Turcs ont ainsi choisi la modération, la stabilité, la paix sociale et le dialogue au conflit. Le vote des Kurdes s'inscrit dans la même logique. Eux aussi, ils ont eu les mêmes soucis que ceux des militants et sympathisants d'AKP en élisant leurs candidats indépendants. On assiste en quelque sorte à l'arrivée de la périphérie vers le centre. Cela signifie que l'ancien establishment perd ses pouvoirs au bénéfice de nouvelles élites qui occupent actuellement la place de ces anciennes élites qui n'ont pas su être au diapason de la société qui a beaucoup changé. Certains analystes trouvent la réélection en force d'AKP comme une cinglante victoire de l'islamisme sur la laïcité. Qu'en pensez-vous ? Non. Ce n'est pas le cas. C'est vrai qu'AKP est un parti conservateur, mais il est le plus ouvert sur le reste du monde. Il y a beaucoup de non musulmans qui ont voté pour AKP. C'est le seul parti réformiste qui existe actuellement en Turquie. Les autres formations ont échoué sur tous les plans. Elles ne présentent aucune alternative et se sont recroquevillées sur elles-mêmes. Il y a eu certes des couacs par rapport au thème de la laïcité, mais en dernier ressort, je crois qu'il n'y a pas à dire qu'AKP se réislamise. Son discours a beaucoup évolué et a suivi les transformations et les évolutions qu'a connues la société turque. Il se réclame aujourd'hui du centre-droit. Par contre, le défi ne sera pas au niveau de l'islamisation ou pas de la société, mais plutôt au niveau du degré de tolérance et de cohabitation entre les différents courants politiques et ethniques.
Est-ce le fait qu'AKP remporte haut la main ces élections est suffisant pour mettre un terme à la crise née de l'annulation des résultats du premier tour de l'élection présidentielle d'avril dernier et qui a conduit justement à ces élections législatives anticipées ?
La tension est en effet née entre deux antagonistes, les anciennes élites d'un côté et les nouvelles élites d'AKP (mélange d'islamistes et de démocrates libéraux) de l'autre côté. Mais à la lumière des résultats et de la large expression populaire en faveur d'AKP, je crois qu'effectivement, les choses vont se calmer. La victoire d'AKP contient un message très fort, celui de la volonté de réformer les institutions du pays. Les anciennes forces politiques ou non politiques dont l'armée ne peuvent ignorer le verdict populaire, quelles que soient leurs divergences immédiates avec le parti au pouvoir.
Et l'armée va-t-elle donc laisser cette fois-ci l'AKP imposer son candidat à la présidentielle ?
Je crois que les dirigeants d'AKP ne vont pas chercher à replonger dans les querelles antérieures. Le candidat d'AKP ne sera probablement pas Abbdallah Gül, mais un autre candidat consensuel. Cela dit, l'armée continuera à peser sur la chose politique. Mais pas comme avant. Son rôle va s'affaiblir de plus en plus.
Vous avez dit une fois dans la presse que le pire des scénarios serait que l'AKP soit en mesure de former un gouvernement à lui tout seul à l'issue des élections législatives. Ce scénario est-il toujours envisageable ? Pourquoi ?
J'avais dit qu'il serait néfaste qu'AKP continue à travailler, en cas de large victoire, avec les mêmes membres du gouvernement. Ce serait en effet susceptible d'exacerber encore plus des tensions qui sont déjà latentes dans ce pays. Cela ne se terminera peut-être pas par un coup d'Etat, mais il pourrait y avoir une sorte de guerre civile. Mais je crois qu'AKP a déjà conjuré ce risque en faisant éliminer la vieille garde islamiste et en injectant du sang neuf au parti. En quelque sorte, l'AKP a su jouer très finement durant la campagne et même dans le choix de ses candidats à la députation. Ses dirigeants, Erdogan en tête, ont réussi à créer une nouvelle tendance dans le parti. C'est ainsi que l'on trouve des libéraux purs et durs – qui n'ont rien à envier aux démocrates américains – qui sont élus sur des listes d'AKP.
Quel est, selon vous, le plus grand défi du nouveau gouvernement et donc d'Erdogan ?
Le plus dur est de pouvoir changer le système politique actuel qui est totalement en faillite. Hérité du coup d'Etat du 12 septembre 1980, ce système ne correspond plus à la réalité turque qui est celle d'un pays qui a connu de grands changements depuis cette époque-là. En fait, le régime politique turc actuel n'est ni un vrai système présidentiel ni un système semi-présidentiel, comme en France, c'est un système « quart-présidentiel », un système présidentiel qui n'ose pas dire son nom. Le président a beaucoup trop de pouvoirs pour quelqu'un qui est finalement plus nommé que vraiment élu, puisqu'il est élu plutôt par le Parlement. Et cette personne qui est supposée être par excellence le représentant de l'Etat et surtout des intérêts de l'Etat peut tout bloquer et amener le pays à un état de crise qu'il va falloir gérer et que pour l'instant personne ne gère. C'est de là toute l'importance de revoir ce système. L'AKP, dans son discours, a clairement exprimé sa volonté de le changer. Il veut instaurer un système électoral présidentiel au suffrage universel, plutôt qu'il soit fait par les parlementaires. Le fera-t-il ou pas ? Il faut attendre encore quelques mois pour le savoir.
Les autres partis vont-ils adhérer à cette réforme ?
Si ces réformes sont démocratiquement menées, elles verront en toute évidence l'adhésion des formations non fascistes bien sûr.


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