Voilà donc venu le moment de vérité dans les relations entre l'UE (Union européenne) et la Turquie, la première entrouvrant ses portes et rien de plus, tandis que la seconde s'efforce d'appliquer un programme qui ne sera pas de trop dans son processus de démocratisation. A vrai dire, la première tergiverse, marquée par de trop fortes divergences sur l'opportunité d'admettre, en son sein, un pays que les opposants à l'admission disent musulman, non européen, ou encore au système répressif qu'il est impossible d'amender. C'est ce débat que recherche la classe politique turque et à sa tête le Premier ministre, Receep Tayyip Erdogan, qui effectuera, à partir de demain, une visite de deux jours à Bruxelles pour tenter de dynamiser avec les responsables de l'UE le processus d'adhésion de son pays au bloc européen. M. Erdogan rencontrera le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, le haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Javier Solana, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, et ceux des groupes parlementaires. Autant dire tout ce que l'UE compte de hauts responsables directement impliqués dans le dossier de son pays. Aussi apprend-on que « la question des relations Turquie-UE sera abordée sous tous ses aspects, au premier rang desquels figure le processus d'adhésion ». La visite intervient alors que les pourparlers d'adhésion de la Turquie au bloc européen, entamés en octobre 2005, marquent le pas et que 2009 pourrait être une année de vérité pour l'avenir des relations entre Ankara et Bruxelles. Ankara n'a pour l'heure ouvert que 10 chapitres thématiques sur les 35 qui jalonnent ses négociations d'adhésion à l'UE. Et le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste, a, depuis deux ans, largement délaissé le terrain des réformes d'alignement sur l'acquis européen, occupé qu'il était par diverses échéances électorales et par de graves tensions avec le courant pro-laïcité mené par l'armée et la haute magistrature. Dans le camp européen, plusieurs pays, dont la France, ont affiché leur hostilité à une pleine adhésion de la Turquie à l'UE et le bloc européen a décidé en décembre 2006 de geler huit chapitres de négociation, en raison du refus de la Turquie d'ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions de la République de Chypre, membre de l'UE et qu'Ankara ne reconnaît pas. Dans ce contexte morose, la visite de M. Erdogan à Bruxelles doit être interprétée comme un signal fort d'un retour de l'Europe au cœur des préoccupations du gouvernement turc, estime Cengiz Aktar, directeur du centre pour l'UE de l'université stambouliote de Bahcesehir. « C'est quasiment historique, ça fait quatre ans qu'il (M. Erdogan) n'avait pas mis les pieds là-bas », affirme l'universitaire. « Le gouvernement réalise que sans l'Europe, il n'ira par très loin, que sans l'ancrage européen, le navire Turquie n'arrivera pas à bon port. » Le déplacement a été précédé au cours des dernières semaines de plusieurs avancées majeures que M. Erdogan devrait, selon M. Aktar, mettre en avant à Bruxelles pour convaincre les responsables européens que la Turquie est toujours « fidèle au poste, même si elle a un petit peu de retard ». La première chaîne de télévision publique, exclusivement en kurde, a vu le jour le 1er janvier, répondant aux demandes européennes en faveur de davantage de droits pour les minorités. La fonction de négociateur en chef avec l'UE, jusque- là assurée par le ministre des Affaires étrangères, a été confiée la semaine dernière à un ministre à temps plein, l'ex-député Egemen Bagis. La Turquie a, par ailleurs, adopté récemment son « Programme national », un plan d'action échelonnant les projets de réformes. Reste le dossier chypriote sur lequel la Turquie est particulièrement attendue, puisque la date limite fixée par l'UE pour l'application par Ankara de l'union douanière à la République de Chypre sera atteinte fin 2009, et qu'un blocage pourrait être lourd de conséquences pour l'adhésion turque. Les Turcs n'étant pas prêts à bouger sur ce sujet tant que les discussions engagées en septembre sur Chypre, divisée depuis 1974, n'auront pas abouti, les yeux sont tournés sur l'île méditerranéenne où les dirigeants chypriotes grecs et turcs mènent depuis septembre des négociations de paix. C'est surtout l'heure de vérité, particulièrement pour l'Europe qui a mis en place des barrières suffisamment fortes pour bloquer l'accès de la Turquie, comme le recours au référendum pour toute nouvelle adhésion. Ce qui n'a jamais été le cas, il faut bien en convenir.