Véritable symbole de l'ouverture du Festival du raï, Belkacem Bouteldja ne s'est pas présenté pour cette 17e édition entamée dans la soirée de samedi, en présence de la directrice de la culture, de la présidente de l'APW ainsi que d'un représentant du ministère de la Culture. L'icône du raï historique a été remplacé par un rescapé de la même période évoluant en France, cheikh Benfissa. Une présence tout aussi symbolique devant un public qui ne jure que par ses idoles actuelles et surtout locales comme Abbès, programmé pour cette soirée et dont le nom a été scandé par ses fans, bien avant qu'il ne fasse son entrée fracassante. N'empêche, le cheikh, qui a tout de suite averti le public qu'il allait les renvoyer aux années 1970, quand le raï commençait à peine à sortir du genre gasba, a fait une belle prestation. Il a tout d'abord reconnu Kada Naoui, un ancien guitariste qui avait, dans le passé, accompagné les pionniers du raï moderne et qui a fusionné aujourd'hui avec le groupe Liberté pour accompagner les artistes participants. Mais pour Benfissa, il faut un son spécifique comme le sont les paroles qu'il interprète en général empreintes de nostalgie (ya hasrah !) et qu'il emprunte aux poètes tiarétis auxquels il rend hommage. Alors que le rythme nous emmène vers les grands espaces steppiques et le son cadencé des galops de chevaux (laârab lahrar), ses rimes se caractérisent par une certaine pudeur, à la limite de la courtoisie. Avant lui, deux artistes amateurs inscrits au concours représentent la toute nouvelle génération. Chaba Sophie veut mettre en valeur ses capacités vocales avec Djenet et chante, entre autres, Cha ddani nehkileh hemmi (Qu'est ce qui m'a pris de lui raconter mes soucis). Arrive, ensuite, Nacer qui a pris le soin d'évoquer Tedj Eddine, un compositeur pour chanteurs de raï décédé récemment, a, et qui par contre, tenté d'honorer la mémoire de cheb Hasni et se lance sans pudeur dans Madamni alcoolique / Nechreb oua nghenni âlik (tant que je suis alcoolique/ je continuerai à boire et à chanter pour toi). Un passage qui résume, par certains de ses côtés, une des caractéristiques des paroles raï. Cheb Arras est spécialisé dans le style chaoui, un des titres qui l'ont révélé et que le public a reconnu pour en avoir revendiqué l'interprétation. Il a répondu à la sollicitation de ses fans, mais après avoir interprété un titre typiquement raï avec Asmak magravi fi galbi (ton nom est gravé dans mon cœur). Non prévu pour cette soirée d'ouverture, cheb Yazid, qui commence à devenir un habitué du festival, a fait une intrusion en solitaire, enfin presque, si l'on excepte l'accompagnement du percussionniste. Il enchaînera des tubes avec un accompagnement musical préenregistré mais qui ne fait pas réellement recette au Théâtre de Verdure malgré la bonhomie qui caractérise cet artiste un peu à part dans le monde du raï. Attendu, Abbès, avec sa stature particulièrement imposante, a réellement enflammé le public en majorité jeune (parfois même très jeune) et ce n'est sans doute pas pour rien, peut-être parce qu'en plus d'une voix puissante, il puise dans le même registre et utilise les mêmes codes langagiers. Comme pour Rahet âliya lpartia (la partie est foutue pour moi), des expressions d'un langage de tous les jours sont reprises telles quelles dans les paroles de raï. Certaines de ces expressions, parce que la langue évolue, meurent relativement aussi rapidement qu'elles naissent, dans une ville où les échanges sont au maximum et les paroliers se doivent d'être à la page. Le raï aura au moins ce mérite de faire évoluer au fil du temps de petites expressions qui font le charme d'une langue. Ceci dit, Abbès qui chante par ailleurs Ndirek pour de bon interprète aussi des passages entièrement en français comme Je suis resté fidèle. Laissée en dernier, Kheïra, dont la renommée n'est plus à prouver, a clôturé cette première soirée. Son souci était sûrement de ne pas faire tomber l'ambiance. « Pour quelle raison nestahel la trahison ? », s'interroge-t-elle dans Dart âliya ouahd oukhra avant de demander plus de rythme pour reprendre des enchaînements initiés par cheb Abdou : Chômeur ou nebghih (chômeur et je l'aime)/ Zawali oune ghih/ etc. Une façon de donner un peu de considération aux marginaux et aux laissés-pour- compte.