C'est dans une dizaine de jours. Certains s'y préparent, d'autres pas. Le Ramadhan débarque de nouveau à Paris. Comme chaque année, fidèles et moins fidèles mettront en place une nouvelle organisation de leur quotidien. La communauté algérienne vivra au rythme de l'adhan. Dans les quartiers populaires de Ménilmontant et de Barbès, il y a déjà comme une odeur de chorba dans l'air. Les pâtisseries orientales exposent derrière leurs vitrines qalb ellouz (cœur de l'amande) et zlabia, gâteaux ramadhanesques par excellence. La plupart des restaurants algériens régleront leur heure sur celle du muezzin. « Depuis cinq ans, tous nos menus sont élaborés pour plaire d'abord aux ventres affamés. Nous cherchons à donner au consommateur l'impression d'être chez lui. Une chorba (vermicelles pour les Kabyles, frik pour les autres), un plat chaud (tajine généralement) et un café ou un gâteau, rien que du bonheur ! Et tout ça, pour 11 euros », s'enthousiasme, Mourad, un restaurateur. Les prix varient de 10,5 euros à 15 euros. A Ménilmontant, l'incontournable restaurant « Les 4 frères » se prépare à battre à nouveau des records de fréquentation. Situé juste en face de son concurrent Le Miyanis, l'établissement s'est spécialisé dans la cuisine algéroise à bas prix. « Leur idée est simple. Les patrons jouent la carte nostalgie. Pendant le Ramadhan, le palais sécrète des souvenirs olfactifs. La chorba devient le pays de notre enfance, et la coriandre le meilleur moyen de transport onirique. Les restaurants ont compris que pour attirer la clientèle algérienne, il faut aller chercher les plats et les saveurs de là-bas. Et pour les prix ils se valent tous », tranche Rachid, un habitant du quartier. D'autres restaurants algériens font de la résistance. « Ils continuent de fonctionner comme si le Ramadhan tombe sur l'iftar », s'amuse Rachid. A l'image du Soleil ou du Thaïs, ils travaillent essentiellement avec une clientèle française. « Le Ramadhan, c'est bon pour l'Algérie et les pâtisseries orientales. Si je ne me satisfais que de la chorba, autant baisser les rideaux. Après un mois d'août plutôt calamiteux, j'ai intérêt à faire tourner la boîte. Regardez mes clients. Ils n'ont pas une tête à observer le Ramadhan, ou alors de loin, de très loin même », s'esclaffe Dda Voussaîd, heureux de son jeu de mots. Coriandre, zlabia et pichet, Nadia déballe avec attention les emplettes ramenées du bled. Tout d'abord l'huile d'olive, les différents aromates, la semoule « préparée mains kabyles », les pois-chiches et les haricots secs. Elle s'étrangle de rire. « Ma mère doit se dire qu'on meurt de faim à Paris. Elle me fait le coup chaque été. J'ai honte à la douane quand ils vérifient les valises. » Puis, avec douceur, elle s'attaque à la viande séchée. « Les enfants en ont horreur. Seul mon mari en consomme, cela lui rappelle les plats de sa mère. Nous sommes tous des enfants grandis trop vite. Et le Ramadhan, au-delà de l'obligation religieuse, est un repère pour nous. J'ai l'impression que quelque part, c'est aussi ça l'Algérie. Enfin, j'aimerais que mes enfants n'oublient pas d'où ils viennent », soupire Nadia. Nourredine n'a pas ce genre de problème. Mieux, il dit ne pas s'encombrer « d'un passé forcément passif ». Père de deux enfants, ingénieur en télécommunications, il refuse de céder aux « sirènes du communautarisme ». De père algérien et de mère française, il aime à se définir comme un libre penseur. « Je n'ai jamais fait le carême, je pense que je ne le ferai jamais. Je suis profondément agnostique, je ne parle jamais de religion à mes enfants. Quand il leur arrive de me poser des questions, j'essaie de leur répondre sans porter aucun jugement de valeur. C'est à eux de construire leur identité, comme je l'ai fait moi-même. Ils peuvent choisir la mosquée, l'église ou Bakounine », explique le jeune père de 33 ans. Dda Ramdane, lui, est en colère. Il commence par refuser de répondre aux questions. Puis, ne tenant plus, se lance dans une diatribe enflammée : « J'en ai marre des zlabias ! Marre de la pensée unique, dominante. Je veux mon pichet ! Quelle jeunesse triste qui court derrière le conformisme. Je veux ma mousse et mon pichet ! Je ne ferai rien pendant le Ramadhan. Rien de rien ! Et tous les midis, direction le resto de mon ami Voussaîd. » Comme chaque année, le programme culturel sera riche. Comme chaque année, l'andalou prendra plus de place. Et comme chaque année, pratiquants et non-pratiquants se retrouveront autour d'un thé et d'une chicha pour discuter du temps qui passe. Du Ramadhan d'antan…