L'absence de réseaux de solidarité solides au sein de la communauté algérienne contraint les compatriotes dans le besoin à se rabattre sur les lieux de culte, tenus par des Pakistanais ou des Saoudiens, pour bénéficier de repas gratuits. La mosquée de Finsbury Park au nord de Londres sert un peu moins de 300 repas quotidiennement depuis le début du mois de Ramadhan. Dans la foule, des jeûneurs amassés à l'heure du f'tour devant le lieu de culte, la plupart sont des Algériens. Souvent, ce sont des hommes seuls, assez jeunes, comptant parmi les dizaines de sans-papiers qui peuplent le quartier. Quelquefois, des familles se joignent aux tables, dressées dans une salle à manger aménagée à l'un des étages de l'établissement. Saïda et sa mère s'y rendent quelquefois lorsque les provisions s'épuisent à la maison. Vivant de subventions émanant des services sociaux, elles comptent leurs sous et sont dans l'incapacité de sacrifier au rituel culinaire du Ramadhan. Exit de leur frigo les viandes et les légumes indispensables à la confection d'une bonne chorba. À la place, les deux femmes comblent leur panse avec un bol de soupe qu'un cuisinier pakistanais, recruté pour la circonstance par la mosquée, fait mijoter. Au menu, il y a également un plat de riz et un dessert. Dans quelques jours, un second service en prévision du s'hour sera assuré par la direction du lieu de culte. Abdelghani et ses deux amis sont heureux d'avoir trouvé un coin où manger gratuitement. Même si la cuisine pakistanaise ne les fait pas saliver. Au moins, ils sont rassasiés. Les trois garçons figurent parmi les dernières cohortes de harragas arrivés à Londres. C'est la première fois qu'ils passent le Ramadhan loin de leurs parents. Vivant de petits boulots, ils font l'économie des dépenses ramadhanesques. À peine se permettent-ils, de temps en temps, l'achat d'un morceau de kelbelouz ou d'un disque de zlabia, juste pour se remémorer les saveurs du bled. L'affluence des jeunes sans papiers sur le resto de la mosquée n'est pas vraiment du goût des commerçants algériens de Finsbury Park. Elle leur fait craindre le dépeuplement de leurs magasins par cette clientèle de choix. Les tenants des gargotes environnantes ont peur aussi que leurs menus spéciaux Ramadhan à 5 livres l'unité ne soient boudés. Pour Hakim, un autre fidèle du f'tour de la mosquée, le montant de cette note qui paraît dérisoire est une dépense superflue. “Un repas tous les jours jusqu'à la fin du mois m'aurait coûté 150 livres. Je préfère dépenser cet argent autrement en frais de transport par exemple”, observe-t-il. À l'entrée de la mosquée de Finsbury Park se trouve une table sur laquelle est posée une boîte qui reçoit les dons des fidèles. Une bonne partie de l'argent provient des Algériens. Ces derniers, majoritaires dans le quartier, représentent l'essentiel des prieurs. “Ces dons auraient pu alimenter une autre caisse et servir par exemple à ouvrir un restaurant gratuit qui servirait de la cuisine algérienne”, préconise un compatriote. Impliqué dans la vie associative du quartier, il regrette l'absence de solides réseaux de solidarité au sein de la communauté algérienne. “Les gens vivent coupés les uns des autres”, fait remarquer notre interlocuteur. En France, des ressortissants algériens ont copié la formule des “restos du cœur” en aménageant des espaces pour nourrir les nécessiteux pendant le Ramadhan. Mais en Grande-Bretagne, à Londres tout particulièrement, ce genre d'initiative n'existe pas. Les lieux de restauration gratuits, dans les mosquées ou chez des particuliers, sont surtout tenus pas les membres des autres communautés, égyptienne, libanaise, pakistanaise et saoudienne. Chez les Algériens, les actions de solidarité sont sporadiques. Pendant le mois sacré, certains jeunes s'entraident en offrant le gîte et le couvert aux plus démunis d'entre eux, surtout parmi les nouveaux venus. Quelquefois, les commerçants sont appelés à la contribution pour aider telle ou telle famille dans le besoin. Il arrive que les fameuses boîtes à dons soient déposées sur les comptoirs de leurs magasins. En dehors du Ramadhan, l'argent collecté sert quelquefois à aller au secours de compatriotes hospitalisés. “Une fois, nous avons réussi à collecter 5 000 livres au profit d'une femme qui devait subir une intervention chirurgicale”, relate un riverain. D'autres fois, le montant des cotisations vise à prendre en charge le rapatriement de dépouilles d'individus morts dans la solitude et sans le sou.