D ans le cadre de votre travail, avez-vous constaté que vous receviez davantage de monde durant le Ramadhan ? Je suis effectivement psychologue clinicienne, enseignante à l'université d'Oran et chercheur au CRASC. Je produis également une émission de radio hebdomadaire « Préoccupations et débat » et assure des consultations d'aide et d'orientation psychologique aux femmes d'un quartier dit défavorisé. A ce titre, je peux vous affirmer que la demande n'est pas si différente des autres moments de l'année. Il est vrai que pendant ce mois, les conflits dans les familles, au sein du couple, etc. ne font que s'exacerber, mais je n'ai pas encore reçu de personnes qui consultent parce qu'elles ont un problème spécifiquement lié à cette période. Sinon, avez-vous constaté un comportement irrationnel durant le Ramadhan et comment l'expliquez-vous ? Ce qui est irrationnel comme vous dites, c'est de ne pas boire et manger pendant toute la journée ! Surtout si les personnes ne donnent pas un sens à leur acte… Manger et boire ne devrait constituer qu'un élément d'un ensemble d'actes et d'attitudes qui nous rapprocherait de Dieu. Maintenant en dehors de l'aspect spirituel (que malheureusement peu de gens connaissent vraiment !), il est vrai qu'une modification des conduites alimentaires va entraîner presque automatiquement un changement de comportement : moins de vitalité, plus de nervosité, de repli sur soi… Et cela s'explique même sur le plan physiologique : modification du taux de sucre dans le sang, excès d'acidité gastrique, etc.La compulsion à acheter tout ce qui se mange à l'approche de la rupture du jeûne est, à mon avis, un bel exemple de comportement irrationnel : on a faim, donc on achète tout ce qui se mange et on croit vraiment avoir envie de tout ce qui se présente. On ne réfléchit plus, on ne fait plus intervenir la raison, puisque nous savons tous qu'objectivement après les dattes et le premier bol de soupe, la sensation de faim s'estompe et nous revenons à une conduite alimentaire a rationnelle. Qui cela touche-t-il et y a-t-il des catégories de personnes davantage concernées ? En fait, les personnes ayant un comportement un peu rigide, c'est-à-dire toujours les mêmes habitudes alimentaires, les mêmes horaires, les mêmes lieux, etc. seront plus stressées, car le changement est source d'angoisse pour elles, car il leur semble perdre tout repère. Il faut dire aussi que dans les familles, les femmes sont les personnes qui seront soumises à plus de pression : elles doivent non seulement gérer le quotidien, parer avec leur conjoint aux problèmes d'ordre socioéconomique, mais également jouer le rôle de médiateur en cas de conflit intrafamilial.Une personne qui change totalement de comportement, parce qu'elle n'a pas eu son café et sa cigarette, qui devient violente, impulsive… doit se rendre compte que le problème est ailleurs et que ses nombreuses tasses de café et son tabagisme ne sont en fait que des sédatifs. Peut-on lier cette mauvaise humeur généralisée à une mauvaise appréhension du mois de jeûne durant l'enfance, c'est-à-dire peut-on penser que les parents inculquent mal les préceptes du mois sacré et que cela a des répercussions à l'âge adulte ? Oui, je suis convaincue que souvent nous transmettons sans donner de sens. Que répondent les parents à l'enfant de cinq, six ans qui demande pourquoi fait-on carême ? La plupart des éducateurs (parents et/ou enseignants) mettent en avant la peur de Dieu, de la punition, de l'enfer... Très peu vont prendre le temps de lui expliquer le vrai sens du jeûne : tenter par son attitude et sa pensée de se rapprocher de Dieu, faire des sacrifices et savoir qu'on peut le faire… Comment expliquez-vous la violence chez certains sujets durant ce mois et l'excès de nourriture après la rupture du jeûne le soir ? La violence de l'individu ne sera qu'exacerbée durant ce mois comme je vous l'ai dit plus haut, la personne violente justifiera son attitude agressive par le fait qu'elle jeûne. Souvent devant ce type de personnalité et en poussant l'entretien plus en avant, on apprend qu'effectivement de temps en temps, il ou elle gifle ses enfants, s'emporte facilement si on la contrarie, peste constamment en conduisant, donc, cette violence est présente, mais souvent contenue et attend la moindre occasion pour se manifester. Pour ce qui est de l'excès de nourriture au moment de la rupture du jeûne, il est illusoire de faire croire à nos enfants qu'en jeûnant, ils ressentiront forcément ce que ressent une personne qui a vraiment faim tout au long de l'année, car jeûner en pensant au repas pantagruélique qui sera fait n'a pas du tout le même sens que jeûner, parce qu'on ne peut faire autrement et que notre meïda sera peu garnie ce soir, demain et après-demain. Je vous parlais de sacrifice et de l'absence de sens à nos pratiques : le véritable jeûne, c'est un tout : je jeûne, mais je me contente de peu, je pense vraiment aux autres, j'aide autant que je peux. C'est à mon avis cela que devrait être pour nous le Ramadhan : un mois qui nous rappellerait notre condition humaine.