Décidément, Fellag n'est pas un adepte du « One shot ». Après les Daurades, l'humoriste s'attaque aux réverbères, non aux « rêves berbères ». Pas facile de s'y atteler, surtout quand ça tourne au cauchemar. Parce que Fellag a beau multiplier les moments scéniques de franche rigolade, il y a derrière ses mots un pays qui souffre, une population égarée, trahie, humiliée. Mohamed Fellag a écrit un livre sensible, nuancé et populaire, dans le beau et plein sens du terme. Son ambition n'est pas d'accoucher d'un monument littéraire, mais d'apporter sa touche personnelle, son regard. Y a-t-il un producteur pour convaincre le fils d'Azeffoun de réaliser un ou plusieurs films sur l'Algérie non « efélénique » ? Une Algérie qui refuse d'être « éfélénisée » et surtout pas celle des « barbéfélènes ». L'allumeur des rêves berbères est une œuvre que Jorge Amado ne renierait pas, un mélange de La boutique aux miracles et de Suor. Et parce qu'il a été élevé lui aussi dans un quartier populaire, Fellag écrit juste quand il parle des petites gens. Ceux qui squattent les villas coloniales de Hydra et d'El Mouradia n'en font pas partie. Ils ont leur propre langue, les enfants de « la famille révolutionnaire ». Ces moudjahidine qu'on n'arrête pas de recenser, un demi-siècle plus tard. Bel avenir, cette profession. Fellag, donc, préfère parler du peuple. De ceux qui rêvent d'Australie, du Paradis, de ceux qui ont peur de leurs cauchemars, de ceux qui continuent d'espérer l'amour, même vivant à 20 dans un deux-pièces cuisine, aux puceaux de 40 ans, aux écrivains officiels lassés de la rhétorique révolutionnaire, de celles qui vendent leur corps pour ne pas perdre leur âme… Nous sommes dans les années 1990. Alger a peur... de ses enfants. L'eau est distribuée deux fois par semaine à des heures insomniaques. Dans la cité, les gens se jaugent, se méfient et s'aiment quelque fois. Zakaria, écrivain officiel déchu et traqué, redécouvre ses voisins. Longtemps aveuglé par ses « frères révolutionnaires », il devient voyeur lors de sa déchéance. Ses voisins ne sont plus seulement incultes, réactionnaires, incapables de comprendre le socialisme spécifique, une notion bâtarde qui privilégie la mosquée à la bibliothèque, qui jette en prison les démocrates et offre des licences d'alcool aux musulmans zélés. Ils sont redevenus humains. A leur contact, Zakaria redécouvre le désir, la peur, la solidarité. La vie. Fellag, L'Allumeur de rêves berbères, JC Lattès, octobre 2007