Paris est devenue la destination préférée des ministres algériens. En deux semaines, trois membres du gouvernement se sont déplacés vers la capitale française : Noureddine Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur, Abdelhamid Temmar, ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, et Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines. Une bousculade qui n'a aucune explication politique si ce n'est cette déclaration de Temmar : « Ma mission à Paris entre strictement dans le cadre préparatoire de la visite du président Sarkozy en Algérie. » Théoriquement, et comme le veulent les règles protocolaires, la charge de préparer la visite du président français à Alger (prévue début décembre) incombe aux ministres français et au personnel habilité de l'Elysée. Il n'appartient aucunement à Temmar de dresser l'agenda de Sarkozy ou d'établir les accords à signer. Alors que fait Temmar, ou Monsieur Privatisation du gouvernement Belkhadem, à Paris, ville visitée au moins cinq fois depuis qu'il est ministre ? A-t-on établi le bilan des déplacements précédents ? Y a-t-il eu des résultats concrets en matière d'investissements directs et de création d'emploi en Algérie après ces multiples voyages qui ne sont jamais suivis de comptes rendus publics ? Temmar, qui intervient sur le tard, n'a pas pu convaincre Renault d'installer son usine en Algérie. Il s'est contenté de critiquer le constructeur automobile qui a choisi de développer son activité au Maroc. L'Algérie traîne la mauvaise image d'un pays bureaucratique. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) a relevé, en juin 2007, que le climat d'investissement est contraignant en Algérie. « Une PME ne prendra pas le risque si elle sait qu'elle n'encaissera pas son chèque », a déclaré Laurence Parisot, présidente du Medef. « La réforme bancaire engagée depuis des années est très très lente. Le climat de l'investissement en Algérie est toujours fragile et n'offre pas d'opportunités aux investisseurs étrangers », a estimé, pour sa part, le conseiller en économie, chargé de l'Afrique du Nord, au ministère britannique des Affaires étrangères, Guy Gantley, lors d'un passage à Alger, début 2007. En 2006, les investissements français n'ont pas dépassé les 250 millions de dollars. Temmar a reconnu la difficulté de sortir d'une certaine culture marquée par des lourdeurs administratives et des mentalités dépassées. Faut-il aller à Paris pour confier aux Français l'existence de la bureaucratie ? N'est-ce pas là le moyen le plus efficace de les dissuader de venir ? « Je repars satisfait à Alger », a-t-il déclaré. Il est reparti déjà à plusieurs reprises « à Alger » et à chaque fois il a dit presque la même chose. Les opérateurs économiques continuent de se plaindre du climat d'affaires en Algérie : difficultés d'accéder aux visas de longue durée, complication pour les contrats et les assurances, pots-de-vin, système bancaire archaïque, manque de transparence... A Alger, une source diplomatique a concédé dernièrement : « On ne sait pas à qui s'adresser. » Temmar n'a pas caché son bonheur de dire que Total a décroché un marché de trois milliards de dollars dans un projet de Vapo-crapcacking de l'éthane dans la zone industrielle d'Arzew. L'annonce de marché a été faite quelques jours après la visite de Nicolas Sarkozy au Maroc où un important contrat de construction par Alstom d'un TGV a été évalué à deux milliards d'euros. A analyser les deux contrats, les montants sont presque identiques. Comme s'il y avait de la part de Paris un souci d'équilibre entre l'Algérie et le Maroc en matière de rapports économiques. Ce n'est pas par hasard qu'au moment de la visite d'Etat du président français au royaume voisin, Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé des entreprises et du commerce extérieur, s'est rendu à Oran pour annoncer certains contrats et que le chef d'état-major de l'armée française a ramené dans ses bagages le plan des mines anti-personnel datant de l'époque coloniale. Un plan qui aurait pu être communiqué auparavant à la faveur, par exemple, de la brève escale de Nicolas Sarkozy en juillet 2007 à Alger. Autre visite parisienne : Chakib Khelil, dont les déplacements en France sont tout aussi nombreux que ceux de Temmar, a répondu à une invitation de Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables. « Nous voulons renforcer nos relations dans le secteur énergétique en général, et en particulier dans les secteurs des hydrocarbures et de l'électricité, sans oublier le secteur des mines, l'exploration, y compris l'uranium, mais aussi le nucléaire », a-t-il déclaré, repris par l'agence officielle APS. En mars 2007, M. Khelil avait dit autre chose sur le nucléaire civil. « A chaque fois que les autorités françaises effectuaient des négociations avec l'Algérie et d'autres pays pour développer un programme nucléaire civil, elles évitent d'aborder ce sujet et préfèrent exposer des problèmes qui n'ont aucune relation avec le partenariat (...). Lorsque vous entamez des négociations avec un Chinois, il vous souhaite la bienvenue, vous vous asseyez, il vous propose quelque chose, et la semaine d'après, il vous envoie la proposition en entier ; alors que le Français se contente de parler d'autre chose », a déclaré M. Khelil à nos confrères d'El Khabar. Que s'est-il passé entre mars et octobre 2007 pour que la France revienne à de meilleurs sentiments ? Chakib Khelil ne l'a pas dit, mais a parlé « d'une ouverture, d'une disponibilité des partenaires français pour aller dans la bonne direction ». En visitant Paris par le passé, le ministre de l'Energie n'a-t-il pas détecté que « la direction » était « mauvaise » ? Pour la construction de deux réacteurs atomiques (Draria et Aïn Oussera), l'Algérie s'est appuyée sur l'aide de l'Argentine, de la Chine et de la Russie. Depuis des semaines, la diplomatie économique française, qui a comme axe central la sécurisation de l'approvisionnement en gaz naturel, tente de vendre l'expérience en matière de nucléaire civil. Des accords ont été signés avec la Libye et le Maroc, un autre est en négociations avec l'Arabie Saoudite. Paris avait abrité en 2005 le sommet mondial sur l'avenir du nucléaire civil préparé par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). La France marche quelque peu sur les traces des Etats-Unis qui ont déjà établi des accords pour la coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire civile avec trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Libye). L'Egypte, pour sa part, vient de relancer son programme de nucléaire civil, gelé depuis vingt ans.