C'est un remaniement qui laisse perplexe. Le président Bouteflika a procédé à un large toilettage sans être le grand nettoyage. Avec en toile de fond, la cagnotte de 286 milliards de dollars pour un plan quinquennal qui semble s'appuyer sur les mêmes hommes ! D'emblée, trois remarques qui laissent l'observateur averti dubitatif. D'abord, c'est la première fois dans les annales de la République qu'un président fasse un remaniement à la veille d'un déplacement important à l'étranger. Précisément au Sommet de Nice. De surcroît un vendredi soir, alors que les Algériens sont accaparés par un certain Eire-EN pour la préparation du Mondial. Ensuite, le fait que le Président semble avoir, par la divulgation de cette liste d'un remaniement qui s'est trop fait attendre, réagi sous la pression des évènements avec le sacrifice d'un homme-clé de son échiquier. En l'occurrence Chakib Khelil. Enfin, le fait que Bouteflika n'a pas tranché définitivement dans son choix entre un gouvernement technocrate ou politique, préférant une mixture donnant lieu à un attelage gouvernemental assez hybride. Mais examinons de plus près cette liste gouvernementale pour les premiers enseignements majeurs. Le fait marquant, qui n'est pas le départ d'un Khelil affaibli, est bien la concrétisation du changement constitutionnel en dotant l'Exécutif d'un vice-Premier ministre. La Constitution en prévoyait trois, ce qui fait que la nomination de Yazid Zerhouni s'apparente à une première touche avant les deux autres. Donc, Nouredinne Zerhouni alias “Yazid” comme l'a si bien précisé l'APS est devenu le vice-Premier ministre d'Ahmed Ouyahia qui, au passage, garde son fauteuil. Ce qui est en soi rassurant sur la continuité du SG du RND que beaucoup donnaient partant. Une nomination qui est loin d'être surprenante quand on connaît le poids réel de “Si El-Yazid” au sein de cet Exécutif qu'il “dirige” en sous-main. La situation du gouvernement Ouyahia est ainsi clarifiée car le duo Ouyahia-Zerhouni fonctionnait déjà à plein régime, le Premier ministre sollicitant les arbitrages de l'ex-ministre de l'Intérieur quand ce n'est pas Zerhouni qui tance certains ministres en Conseil de gouvernement sous le silence complice d'Ouyahia. Les rôles en interne sont ainsi codifiés par la Constitution avec certainement un partage des tâches naturelles qui va définir le rôle de Zerhouni dans des tâches plus politiques qu'économiques laissant ainsi les coudées franches à Ouyahia de s'occuper davantage de la gestion des grands dossiers notamment économiques. Le président Bouteflika a ainsi déterminé le cadre de ce binôme avec une préférence manifeste à son homme de confiance qui est loin d'être Ouyahia. La deuxième confirmation de ce gouvernement est le départ de Chakib Khelil après 11 années à la tête du ministère de l'Energie. Bouteflika ne pouvait plus faire avec, suite à l'avalanche de scandales touchant Sonatrach. Après que Khelil eut perdu la main sur la compagnie pétrolière comme l'illustre la passation Feghouli-Cherouati qu'il a observée comme téléspectateur, le GNL-16 à Oran a achevé toute la crédibilité du “Texan” de Tlemcen qui s'est ainsi offert un pot d'adieu de 800 millions d'euros. Reste la question qui brûle les lèvres d'un simple magistrat de première année : est-ce que son éjection du gouvernement va donner lieu à la possibilité de poursuites judiciaires ? Il est plus que probable que sans la casquette ministérielle et sans statut d'immunité, Khelil va devoir répondre à des convocations de justice surtout que les enquêtes ont toutes abouti à l'architecture pyramidale dans la prise de décision à Sonatrach. Le troisième fait marquant est indéniablement la mise sur la touche d'Abdelhalmid Temmar. L'ex-ministre de la Participation, fidèle de Bouteflika, n'a certes pas quitté le gouvernement mais le fait qu'il se retrouve à la tête d'un ministère de la Prospective et des Statistiques sonne comme une humiliation cinglante. Comment peut-on interpréter le fait que l'homme qui avait la mainmise sur les projets d'investissements, de privatisation, de foncier et des grands contrats se retrouve à la tête d'un ministère qui a la dénomination d'un institut. Comble du désaveu, Temmar se voit flanqué d'un secrétaire d'Etat, Ali Boukrami. De ce fait, le grand gagnant est un illustre inconnu du grand public : Mohamed Benmeradi qui cumule aussi bien l'Industrie, la Petite et Moyenne entreprise et la Promotion de l'investissement. Il est clair que le choix d'un technocrate à ce poste vise à faire la première mutation d'un gouvernement politique à un gouvernement technique. Temmar, qui a eu à faire un baroud d'honneur à l'APN, la veille de son remplacement, en évoquant le dossier de Bellara, paie son immobilisme patent. Car son successeur, Bendimered devra assurer et rassurer des investisseurs étrangers fatigués de l'inertie de la décision économique et encourager le privé national compétent qui ronge son frein à trop attendre les assiettes de terrain, les signatures d'administrations byzantines et des autorisations à investir dans son propre pays. Un comble. Car l'échec de Temmar est multiple. Quand on sait que le CNI (Conseil national d'investissement) ne s'est pas réuni depuis une année, que le CPE (Conseil des participations de l'Etat) est un échec sur toute la ligne et que le FNI (Fonds national d'investissement) se noie dans le verbiage pathologique des responsables du secteur, il est évident que Bouteflika ne peut pas cautionner un si grande incurie. Temmar qui a le don de rester “vivant” a eu plus de chances que son ami Khelil dont il n'a pas cessé, ces dernières semaines, à faire du lobbying pour son maintien. Dernier point saillant est la nomination de Moussa Benhamadi en tant que ministre de la Poste et des Technologies de la communication et de l'information, en remplacement de M. Hamid Bessalah. Ce dernier fait les frais de sa gestion hasardeuse du secteur qui a besoin d'un homme de la poigne de Benhamadi qui aura la lourde tâche de solutionner l'équation Orascom et le dossier de l'achat d'OTA qui a plombé Bessalah. Avec son profil mixte, politique et technique, Benhamadi aura à jouer un grand rôle dans la conclusion de cette vente. Ce remaniement est donc assez spécial. Bouteflika semble l'avoir opéré, contraint et forcé afin de calmer les esprits mais sans pour autant donner une visibilité sur l'avenir de l'Exécutif. Des ministres qu'on sait fatigués physiquement sont toujours en poste. D'autres qui sont sous la menace de scandales ont obtenu un sursis. D'autres qui ont démontré une incapacité à gérer leur secteur se voient amputés de prérogatives. Bouteflika a envoyé un signal mais pas un message. À quand le changement ?