Nous venons de débattre à l'Assemblée nationale de la loi de finances 2008. De nombreuses critiques ont été formulées par les parlementaires, concernant notamment les incohérences dans la ventilation des budgets mais surtout l'opacité qui entoure le très contesté Fonds de régulation des recettes (FRR) qui échappe totalement au contrôle du Parlement. Beaucoup de réserves ont été également émises quant à la praticabilité, sur le terrain, de cette loi et quant à son efficacité pour venir à bout de la panne qui caractérise l'économie du pays. Enfin, question-clé : pourquoi l'Etat calcule le budget sur la base de 19 dollars le baril de pétrole alors que celui-ci est à plus de 90 dollars ? Comment savoir où va la différence ? Nous ne reviendrons pas sur les détails des débats. En réalité, la question est de savoir si la loi de finances pour l'année à venir sera en mesure de permettre aux Algériens de vivre dans la dignité et sans l'humiliation quotidienne qui leur a été infligée durant les années précédentes. La question est aussi de savoir si les pouvoirs publics ont, au cours de la rédaction de la loi, eu présent à l'esprit le souci du bien-être du citoyen… seule préoccupation de toute bonne gouvernance. Et c'est tout le problème, car au regard des interventions qui ont émaillé les débats dans l'hémicycle, le doute était constamment présent. Pourtant, les députés, nombreux, qui ont émis ce doute, voteront, comme à l'accoutumée, cette loi. Notre souci du moment concerne les jeunes Algériens. Dans une contribution antérieure (El Watan, 30 septembre, 1er et 2 octobre 2007). nous évoquions leur désespoir et nous disions déjà que le programme du gouvernement n'avait rien prévu « de spécial » pour cette frange de la population. La loi de finances 2008 vient le confirmer. 25 millions d'Algériens ont moins de 30 ans. L'avenir du pays. Un chiffre qui devrait empêcher les décideurs de dormir. Les jeunes représentent 50% de la population en âge de travailler et le chômage augmente, selon le Fonds monétaire international (FMI), de 3,4% chaque année. Toujours selon cet organisme international, l'Algérie est le pays qui a le plus fort taux de chômage parmi les pays africains et du Moyen-Orient. 21% en 2006. Presque le double de celui avancé, à l'occasion de son audition par le Président de la République, par le ministre de la Solidarité nationale (12,3%). Taux non réaliste au regard de l'importance de la population juvénile et de la démographie que connaît notre pays. 500 000 jeunes sont exclus chaque année de l'école. 15% de ceux qui sont inscrits dans les centres de formation professionnelle abandonnent et nombreux sont ceux aussi qui laissent tomber les études universitaires. Tous ces jeunes viennent grossir le contingent de ceux qui sont déjà dans la rue et/ou les files d'attente sur le marché du travail. L'illusion de la baisse du chômage et de la paix sociale subséquente sont le résultat du travail informel dans lequel s'investit une grande partie des jeunes Algériens. Désespérés, nombreux sont ceux qui occupent les places publiques en attente de vendre leur main-d'œuvre au noir et à bas prix. Une inhumaine exploitation et pour certains un véritable esclavage. D'autres sujets, n'acceptant pas leur situation, sont jetés par le chômage dans des activités à la limite de la légalité. Le commerce informel, le trabendo, en est une. Après avoir été longtemps réprimée par les pouvoirs publics, de guerre lasse, elle est maintenant tolérée. Cette activité occupe certainement une très grande partie de nos chômeurs et, en tout cas, nourrit de nombreuses familles. Le trafic de devises est une autre activité illicite. Le marché du change parallèle est en pleine expansion et fleurit sous le regard bienveillant des autorités. Le Wall Street algérien est au square Port Saïd à Alger. Toutes le villes d'Algérie possèdent leur quartier de la bourse. La masse financière mobilisée dans cette activité est sans aucun doute au-delà de celle mobilisée dans le circuit bancaire formel. Dans toutes les villes du pays, une foule de jeunes s'est improvisée, d'autorité, parfois avec agressivité contre les automobilistes récalcitrants, en gérants de parking. Autre activité informelle qui a été maintes fois à l'origine d'agressions violentes. Ce désordre institutionnel et l'absence de l'Etat encouragent le désordre social. Une relation dialectique qui donne lieu, chacun le sait, à l'émergence de conduites délinquantes. C'est ainsi que les sujets qui ne se sont pas investis dans les précédentes activités sont happés par l'oisiveté avec tout ce qu'elle charrie comme sentiment d'humiliation, amertume et envie. « L'envie n'engendre que destruction », disait Freud. Victimes de la violence institutionnelle, et pour cause laissés-pour-compte, ils se révoltent contre la société. Chacun à sa manière, mais toujours par un passage à l'acte violent. Contre la société ou contre soi-même. Suicide, toxicomanie, alcoolisme et autres conduites délinquantes sont observés dans ces cas. Du petit larcin au délit le plus grave, tel que le commerce de stupéfiants, cambriolages, vols à main armée, hold-up ou encore enlèvements avec séquestration… Ces actes de banditisme, de plus en plus répandus dans notre pays, créent chez le citoyen un climat d'insécurité et le sentiment permanent d'être une proie potentielle. Les passages à l'acte collectif tels que l'émigration clandestine, « la harga », ou les émeutes trouvent leur justification dans les mêmes causes. La paix sociale est alors menacée. Gouverner c'est prévoir. En l'occurrence concernant les jeunes Algériens, toutes les données pour bien gouverner sont là. Il suffit d'en faire le point avec lucidité et d'avoir l'audace nécessaire pour apporter les solutions appropriées. Il faut bien sûr la volonté politique. Pour autant, le regard critique porté sur la loi de finances 2008 témoigne de l'absence de volonté politique de la part des pouvoirs publics. En effet, l'addition des budgets alloués par cette loi aux départements ministériels en charge des problèmes de cette population, tels que la jeunesse et les sports, la culture, la solidarité nationale et la formation professionnelle, est insignifiante au regard des besoins. La somme des budgets de ces ministères est inférieure à celle octroyée au seul département des moudjahidine et des ayants droit. 92,50 milliards de dinars contre 133,24 milliards. Edifiant. Voici le détail des différentes enveloppes budgétaires. 1 - Le ministère de la Culture est destinataire de 8,30 milliards de dinars environ. Il ne dispose pas de chapitre spécifique à l'animation culturelle de proximité et pour la promotion et la création d'associations culturelles de quartiers et de villages. 3,75 milliards de dinars est l'enveloppe financière attribuée à l'organisation de manifestations culturelles nationales et internationales. « Manifestations de prestige qui n'intéressent pas, à l'instar d'Alger, capitale de la culture arabe », l'Algérien moyen. 2,50 milliards de dinars sont versés comme subvention de fonctionnement aux établissements culturels. Les dépenses diverses (qu'est-ce que cela veut dire ?) prennent un budget de 3,38 milliards de dinars. 25 petits millions de dinars seulement sont alloués pour encourager les associations à caractère culturel. CQFD… Quant au programme de réhabilitation et/ou de construction dans les quartiers et communes de salles de cinéma, de théâtre, de maison de la culture, etc., aucun mot. 2 - Le ministère des Sports (accessoirement, il faut le dire, de la Jeunesse) est allocataire d'un budget de 13,13 milliards de dinars. Aucun crédit n'est spécifiquement dédié aux jeunes. Loisirs, voyages, auberges de jeunes à rendre plus attrayantes ou à construire, associations sportives de quartiers et de villages… point de tout cela. Il y a bien une rubrique « Financement des associations sportives » : 1,36 milliard de dinars. Un dixième du budget total. Misérable, au regard des besoins et de la demande. 3 - Il n'y a pas de programme volontariste pour la formation et l'enseignement professionnels. Moins de 20 milliards de dinars seulement sont alloués à cet important département ministériel. Former les jeunes aux métiers manuels, leur offrir une vraie qualification pour prétendre à l'emploi et répondre aux besoins du marché national du travail. Le métier du bâtiment serait en manque de 500 000 maçons… prétexte à « l'importation d'une main-d'œuvre chinoise ». Le budget de ce ministère est réparti particulièrement pour les besoins de son fonctionnement. Aucun crédit n'est clairement dégagé pour promouvoir les structures de formation existantes et pour en construire de nouvelles. De plus, il n'est dit aucun mot concernant l'amélioration des conditions de formation des étudiants et des conditions de travail des formateurs. 4 - 50,22 milliards de dinars sont octroyés au ministère de la Solidarité nationale. La rubrique consacrée à la jeunesse n'est plus visible dans la ventilation de ce budget. Ainsi, les subventions au Fonds national de soutien à l'emploi des jeunes, d'appui aux micro-crédits, aux emplois d'attente (pré-emploi et emplois saisonniers d'intérêt local) sont tout simplement annulées. Un petit budget est accordé pour encourager les associations à caractère social, 208 millions de dinars environ. Insignifiant. A titre de comparaison, 6 milliards de dinars sont alloués aux subventions de fonctionnement aux établissements et centres de formation et 3,1 milliards environ sont attribués à l'agence de développement social. 5 - Le département de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a, quant à lui, un budget de 118,30 milliards de dinars et celui de l'Education nationale 280,54 milliards de dinars. Est-ce que ces budgets sont suffisants au regard de leur importance stratégique pour l'avenir du pays ? Nous sommes en droit maintenant de nous poser la question. Nous connaissons l'état de vétusté et d'indigence dans lequel sont nos écoles. Nous connaissons également les salaires de nos enseignants et l'état d'esprit avec lequel ils s'occupent de nos enfants. Quant aux programmes, les réformes se suivent et se ressemblent. Le résultat n'est pas reluisant. 500 000 élèves, nous le disions, sont en échec scolaire et jetés à la rue chaque année. Un vrai désastre. L'école algérienne est sinistrée. Ce constat fait l'unanimité. Quant à l'enseignement supérieur, les conditions de vie des étudiants sont simplement humiliantes. 4 à 8 étudiants en moyenne par chambre, sans eau chaude et parfois sans eau du tout, une restauration inacceptable, des locaux pédagogiques sales et enfin une bourse de 900 DA/mois qui ne mérite aucun commentaire. Concernant les conditions de vie et de travail des enseignants universitaires, le mouvement de grève initié, il y a quelques jours, à travers tout le territoire national est riche d'enseignements. Les futurs cadres et les cadres du pays sont ainsi traités. Il est aisé de comprendre les motivations qui amènent ces sujets à l'exil. Il ne s'agit pas d'un manque de patriotisme, comme il nous a été donné de l'entendre ici ou là. Et il est vain, voire malvenu de comparer et/ou d'opposer le comportement des jeunes d'aujourd'hui — cadres, trabendistes ou chômeurs d'ailleurs — à celui des jeunes qui ont fait Novembre 1954. Pourquoi ? Pour culpabiliser encore plus ceux qui partent et ceux qui désirent partir ? Cela est totalement anachronique et c'est faire preuve d'un passéisme étriqué. Les jeunes d'aujourd'hui ne connaissent pas la guerre. Ils veulent vivre dans leur pays qui est libre et profiter de toutes les richesses dont celui-ci est nanti. Ils ne veulent pas vivre pauvres dans un pays qui vend son pétrole à plus de 90 dollars le baril. Ils souffrent de vivre dans l'insécurité mais souffrent aussi de l'exil forcé. Les décideurs devraient le comprendre. L'Algérie est classée, en matière de paix (GPI : Global Peace Indice) —selon le Centre d'études pour la paix et les conflits (CPCS) — à la 107e position (sur 121), loin derrière Oman (22e position) et la Tunisie (39e position). Cet organisme australien (CPCS) utilise des référents comme la Banque mondiale, le FMI, Amnesty international, etc. pour quantifier les liens entre paix et développement. Chacun sait qu'il ne peut y avoir de développement sans la paix. Plusieurs critères (24), niveau de démocratie, bien-être matériel, démographie, conflit et violence internes ou externes, niveau de l'éducation, absence de peur, tolérance, pauvreté, etc. sont utilisés pour classer les pays en fonction de leur pacifisme. Le constat concernant notre pays est éloquent. Il fait meilleur vivre à l'est de l'Algérie. Le ministre de la Solidarité nationale a organisé, il y a quelques semaines — au moment fort de la médiatisation des harraga — un séminaire national pour tenter de comprendre pourquoi les jeunes Algériens fuient leur pays. Le problème n'est pas de savoir pourquoi les jeunes veulent quitter le pays mais pourquoi ceux-ci n'aiment pas ou plus leur pays. De toute évidence, à cause du mauvais indice global de la paix que nous évoquions ci-dessus. C'est pour cela qu'ils s'en vont. Dès lors, est-il besoin d'un séminaire pour comprendre cela ? Il suffit d'ouvrir les yeux pour comprendre. Pour mesurer l'ampleur du désastre auquel les pouvoirs publics ont tourné le dos. Le président de la République vient de reconnaître, à l'occasion de son allocution d'ouverture de la conférence gouvernement-walis, consacrée à la jeunesse, l'échec des actions menées en direction de cette frange de la population. Il a admis que les « politiques menées jusque-là n'ont pas été à la hauteur des attentes des jeunes » et la responsabilité de cette faillite incombe, selon lui, à l'incohérence et à l'absence de concertation qui ont caractérisé le fonctionnement des différentes institutions chargées des problèmes de la jeunesse. Après 10 ans de gouvernance et une dangereuse dérive de la société, l'aveu d'échec arrive. Mieux vaut tard que jamais. Nous apprenons, par la même occasion, que des institutions chargées des problèmes des jeunes avaient été mises en place. Quelles sont ces institutions ? Qui en sont les responsables ? Quels ont été leurs moyens financiers et comment ont été dépensés les budgets qui leur ont été alloués ? Quel est le bilan de leur travail ? Voici les vraies questions. La seule institution connue en charge officielle des problèmes de la jeunesse est le ministère de la Jeunesse et des Sports. En réalité, ministère du football. Car les différents ministres qui ont occupé ce portefeuille n'ont eu que le souci de cette discipline sportive. Mettre et démettre le directeur technique national. Composer et décomposer l'équipe nationale, etc. Même de ce côté-là, les résultats sont lamentables. Les compétitions de football ne sont plus qu'une occasion pour les jeunes de crier leur détresse et quelquefois de la manifester avec violence. Quant aux résultats de l'équipe nationale, il y a longtemps qu'ils ne font plus la fierté de la jeunesse algérienne. La conférence gouvernement-walis a planché deux jours. Des experts y ont été invités et des ateliers de réflexion ont été mis en place. Le constat est clair et de nombreuses recommandations ont été données. Entre autres, impliquer les jeunes dans la construction de leur destin, adopter une charte de la jeunesse sous-tendue par une loi-cadre et mettre en place un département ministériel pour la jeunesse. Très généreux projet. Quelles suites lui seront réservées ? La « conférence gouvernement-walis sur la politique nationale de la jeunesse » a été initiée volontairement, en parallèle à l'action gouvernementale, par le président de la République. Elle veut à la fois suppléer et désavouer le gouvernement qui a montré ses limites dans la gestion du dossier de la jeunesse. Le président de la République a, selon le quotidien gouvernemental El Moudjahid, « cette fois ordonné que soient mis les moyens qu'il faut, sans attendre pour préparer le terrain à l'intégration des jeunes (…) a tracé un véritable programme de travail concret, palpable et réalisable pour peu que les collectivités locales, communes, wilayas et tous les autres partenaires, c'est-à-dire l'ensemble des institutions de l'Etat, s'impliquent plus activement dans le projet ». Il n'est, toutefois, prévu nulle part dans la loi de finances 2008 de budget pour ce nouveau programme. A moins que… le fonds de régulation des ressources ne soit la cagnotte d'où seront prélevées les finances nécessaires à la mise en application de ce nouveau programme présidentiel. La prise en charge de la jeunesse algérienne est une urgence stratégique. Nous avons la conviction qu'il s'agit là de la garantie d'une paix sociale durable pour le pays… et peut-être d'un vrai problème de sécurité intérieure. Il faut agir vite.