La mise en accusation de Saddam Hussein s'est effectuée jeudi dernier devant le Tribunal spécial irakien (TSI) sur fond de polémiques. Non seulement sur le sort qui lui sera réservé à l'issue du procès et du verdict qui sera prononcé, mais aussi sur le déroulement des audiences et du respect des formes de procédure. Mais en filigrane, la question est de savoir si la justice peut être rendue, en toute souveraineté, dans un pays sous occupation militaire étrangère. En d'autres termes, la légitimité d'un tribunal spécial, dont le siège est précisément la base américaine de Camp Victory, est ainsi crûment posée. En effet, beaucoup d'observateurs n'ont pas manqué de relever la promptitude avec laquelle a été rétablie la peine de mort en Irak par le gouvernement intérimaire quarante-huit heures à peine avant sa présentation devant le TSI, soit peu après le transfert du président déchu détenu par les autorités militaires américaines au gouvernement intérimaire irakien. Les appréhensions à l'égard des procédures judiciaires semblent d'ores et déjà se justifier puisque, selon les comptes-rendus officiels, l'audience n'a pas duré plus de vingt-cinq minutes au cours de laquelle le juge a présenté les charges retenues contre l'ancien maître de Baghdad. Si dans les capitales de la coalition, on se félicite de la présentation de Saddam Hussein devant le tribunal spécial comme étant « un pas de plus dans le recouvrement de la souveraineté irakienne », à l'instar de la réaction de la Maison-Blanche qui y voit là « une manifestation de la restauration de l'Etat de droit en Irak », ailleurs et même à Londres on donne l'impression d'accepter le fait accompli suggéré par les Américains sans doute. C'est ainsi que si les Britanniques demeurent, pour leur part, opposés à l'application de la peine de mort, on reconnaît toutefois que la décision revient en dernière instance aux Irakiens. L'attitude de l'émissaire de Tony Blair pour les questions des droits de l'homme en Irak, qui reconnaît néanmoins avoir demandé aux Irakiens de déférer l'ancien chef d'Etat devant le Tribunal pénal international (TPI), à l'instar de l'ex-dirigeant serbe Slobodan Miloseviç, admet malgré tout que la décision de le juger en Irak a été « prise assez tôt », sans doute pour ne pas dire trop tôt. Et comme pour se rattraper, l'émissaire de Tony Blair, interrogée par la BBC, laisse entendre qu'il s'agirait, pour elle, plus d'un problème de compétence des juges irakiens du TSI dirigé par un certain Salem Chalabi apparenté, semble-t-il, à Ibrahim Chalabi ramené dans les bagages de la coalition lors de l'intervention contre l'Irak en mars 2003. Tandis que le président français Jacques Chirac, embarrassé devant le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, déclarait, à l'issue du sommet franco-italien, qu'« il convenait de laisser faire la justice irakienne ». Mais au-delà de cette polémique sur la peine de mort, le respect de la procédure et des droits fondamentaux liés précisément à la question de la légitimité du TSI, comme l'a souligné la commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Louise Arbour, qui insiste pour que la communauté internationale soit vigilante pour faire en sorte que les normes en la matière soient respectées, tout en faisant part de son inquiétude devant les audiences secrètes et fermées à la presse. La commissaire sait de quoi elle parle, elle qui fut procureur auprès du TPI et qui s'est illustrée par justement l'inculpation de Miloseviç. Tandis que dans les capitales arabes on s'interroge, notamment à travers la presse, sur tous ces aspects de fond, un quotidien est allé jusqu'à accuser Salem Chalabi, le président du TSI, de « corrompu ». Les avocats chargés par la famille de défendre Saddam Hussein n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. La première comparution de l'ex-président déchu a été tout simplement qualifiée de mascarade et de situation pire que le procès de Nuremberg. Le collectif de la défense a d'ailleurs rappelé qu'il a demandé la protection de capitales occidentales pour pouvoir se rendre à Baghdad et assurer la défense de son client durant le procès.