Premier acte politique des Américains pour vendre à l'opinion irakienne et internationale le transfert de souveraineté au gouvernement intérimaire irakien : Saddam Hussein a été remis hier aux autorités irakiennes pour y être jugé. Aucune image de la cérémonie de transfert de l'ancien président irakien sous la juridiction irakienne n'était disponible, hier. Les chaînes de télévision ont rediffusé pour la circonstance la seule et unique image de Saddam : celle de son arrestation, le montrant sous un air hagard, dévoré par une barbe et des cheveux hirsutes, mais surtout cette attitude qui avait choqué l'opinion internationale du militaire américain gantés épouillant le prisonnier et le soumettant à une visite médicale avec des gestes que l'on ne trouve que dans les cabinets vétérinaires. L'ex-président irakien n'était pas seul dans le fourgon cellulaire ; il était accompagné de 11 anciens dignitaires de l'ancien régime déchu parmi lesquels figurent l'ancien vice-Premier ministre, Tarek Aziz et le vice-président Taha Yassine Ramadan. Tout a été préparé au plan de la procédure pour mettre en branle la machine judiciaire. Mercredi, Saddam et ses anciens proches collaborateurs devaient recevoir sur le lieu de leur détention une lettre du tribunal spécial irakien (TSI) établissant les chefs d'accusation et un mandat d'arrêt avant d'être présenté devant le juge qui leur signifiera leur mise en accusation. Le dossier d'accusation de Saddam est lourd. Il est accusé de crimes contre l'humanité. Les dossiers ne manquent pas pour confondre l'ancien président irakien : les fosses communes, les attaques au gaz chimique contre les Kurdes, les plaintes pour corruption... La liste des témoins à charge est certainement longue et déjà prête. « L'instruction sera longue, elle prendra des mois », a souligné le porte- parole du gouvernement qui a tenu à préciser que les prévenus seront jugés par le Tribunal spécial irakien formés de juges irakiens. Les avocats de Saddam qui ont dénoncé les conditions de détention de Saddam et le non -respect par les forces de la coalition des conventions de Genève relatives aux droits des prisonniers ont qualifié hier d'« illégale » la justice irakienne qui est elle-même issue d'un « gouvernement illégal qui ne détient sa légitimité que des Etats-Unis ». L'avocat Mohammad Al Rachdane, chef du collectif de défense de Saddam a annoncé, hier, que le collectif se prépare pour assurer la défense de l'ancien président irakien et que la défense sera présente au procès même si elle ne lui reconnaît aucune légitimité. Le collectif des avocats a toutefois réclamé des garanties du gouvernement intérimaire irakien pour assurer leur sécurité surtout après les menaces proférées à l'encontre des avocats de la défense, selon le témoignage d'un membre du collectif. La défense est composée de vingt avocats, dont un Américain, mandatés par la famille de Saddam. Les avocats de Saddam ont dénoncé à plusieurs reprises les Etats-Unis pour leur refus de les autoriser à rendre visite à leurs clients. Le Comité international de la Croix- Rouge (CICR) a été saisi officiellement pour lui demander de s'enquérir de la santé de leur client. Avec la mise en accusation de Saddam, les observateurs s'interrogent sur la régularité du procès de l'ancien président déchu. Le fait que Saddam soit toujours sous la protection des Américains et que les conditions politiques et démocratiques ne sont pas réunies pour garantir à la justice toute son indépendance font craindre que l'on s'achemine vers une parodie de procès. Tout porte à croire que le procès se déroulera loin de la présence des observateurs internationaux et que l'issue du procès est déjà scellée avant qu'il ne s'ouvre. L'annonce faite hier par le président irakien Ghazi Al Yaouar du rétablissement de la peine de mort en Irak suspendue apès l'intervention militaire en Irak est certainement loin d'être fortuite.