Famille, communauté humaine et loi morale Une famille vit en paix si tous ceux qui la composent se plient à une norme commune : cela permet de contrecarrer l'individualisme égoïste et de créer des liens entre chacun de ses membres, favorisant ainsi leur coexistence harmonieuse et leur collaboration dans un but commun. En soi évident, ce critère vaut aussi pour les communautés plus larges : allant du niveau local, national, jusqu'à la communauté internationale elle-même. Pour qu'il y ait la paix, il faut une loi commune, qui permette à la liberté d'être vraiment elle-même, et non pas un arbitraire aveugle, et qui protège le faible des abus du plus fort. Dans la famille des peuples, on observe de nombreux comportements arbitraires, que ce soit à l'intérieur des Etats ou dans les relations mutuelles entre les Etats. Il existe en outre bien des situations où le faible est obligé de s'incliner non pas devant les exigences de la justice mais devant la seule force de celui qui a plus de moyens que lui. Répétons-le : la force doit toujours être disciplinée par la loi et cela doit se vérifier aussi dans les relations entre Etats souverains. A bien des reprises, l'Eglise s'est prononcée sur la nature et la fonction de la loi : la norme juridique, qui régule les rapports entre les personnes, en disciplinant les comportements extérieurs et en prévoyant aussi des sanctions pour ceux qui transgressent ces dispositions, a comme critère la norme morale fondée sur la nature des choses. La raison humaine est en outre capable de la discerner au moins au niveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison créatrice de Dieu, qui est à l'origine de tout. Cette norme morale doit réguler les choix des consciences et orienter tous les comportements des êtres humains. Existe-t-il des normes juridiques pour les rapports entre les nations qui forment la famille humaine ? Et, si elles existent, sont-elles efficaces ? La réponse est oui, ces normes existent, mais pour qu'elles soient vraiment efficaces, il faut remonter à la norme morale naturelle, fondement de la norme juridique, sinon cette dernière reste soumise à des consensus fragiles et éphémères. La connaissance de la norme morale naturelle n'est pas réservée à l'homme qui rentre en lui-même et qui, face à sa destinée, s'interroge sur la logique interne des aspirations les plus profondes qu'il discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, il peut arriver à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loi morale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet aux êtres humains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les aspects les plus importants du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Il est indispensable de revenir à cette loi fondamentale et de consacrer à cette recherche le meilleur de nos énergies intellectuelles, sans se laisser décourager par les équivoques ou les sous-entendus. De fait, des valeurs enracinées dans la loi naturelle, même si c'est de manière fragmentaire et pas toujours cohérente, sont présentes dans les accords internationaux, dans les formes d'autorité universellement reconnues, dans les principes du droit humanitaire reçus dans les législations des Etats ou dans les statuts des Organismes internationaux. L'humanité n'est pas « sans loi ». Il est toutefois urgent de poursuivre le dialogue sur ces questions, faisant en sorte que les Etats parviennent dans leurs législations à une reconnaissance convergente des droits humains fondamentaux. Le progrès de la culture juridique dans le monde dépend entre autres de l'engagement visant à rendre plus effectives les normes internationales ayant un contenu profondément humain, afin d'éviter qu'elles ne se réduisent à des procédures faciles à contourner pour des motifs égoïstes ou idéologiques. Dépassement des conflits et désarmement De nos jours, l'humanité vit malheureusement de grandes divisions et de durs conflits qui jettent de sombres perspectives sur son avenir. De vastes régions de la planète connaissent des tensions croissantes, et le danger que de plus en plus de pays deviennent détenteurs de l'arme nucléaire suscite de légitimes appréhensions chez toute personne responsable. On assiste encore aujourd'hui à de nombreuses guerres civiles dans le continent africain, même si l'on y observe, pour un certain nombre de pays, des progrès dans la liberté et dans la démocratie. Le Moyen-Orient reste le théâtre de conflits et d'attentats qui ont des conséquences sur les nations et les régions limitrophes, risquant de les entraîner dans la spirale de la violence. D'une manière plus générale, on doit constater avec regret que le nombre des Etats qui sont pris dans la course aux armements est en augmentation : même des nations en voie de développement consacrent une part importante de leur maigre produit intérieur à l'achat d'armes. Ce funeste commerce se développe grâce à de multiples responsabilités : il y a les pays du monde industrialisé, qui tirent de gros profits de cette vente d'armes et il y a les oligarchies dominantes en de nombreux pays pauvres, qui veulent renforcer leur position par l'achat d'armes toujours plus sophistiquées. En des temps si difficiles, il est vraiment nécessaire que se mobilisent toutes les personnes de bonne volonté pour que soient trouvés des accords concrets en vue d'une démilitarisation efficace, surtout en ce qui concerne les armes nucléaires. Alors que le processus de non-prolifération nucléaire se voit ralenti, je me sens obligé d'exhorter les Autorités à reprendre avec une détermination plus ferme les négociations visant au démantèlement progressif et concerté des armes nucléaires existantes. En renouvelant cet appel, je sais que je me fais l'écho du vœu que forment tous ceux qui ont à cœur l'avenir de l'humanité. Il y a pratiquement soixante ans, l'Organisation des Nations unies rendait solennellement publique la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948-2008). Par ce document, la famille humaine a voulu réagir aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale en reconnaissant son unité fondée sur l'égale dignité de tous les hommes et en mettant au centre de la convivialité humaine le respect des droits fondamentaux de tout individu et de tout peuple : ce fut là un pas décisif sur le difficile et exigeant chemin vers la concorde et la paix. Il est bon aussi de mentionner la célébration du 25e anniversaire de l'adoption par le Saint-Siège de la Charte des droits de la famille (1983-2008), ainsi que le 40e anniversaire de la célébration de la première Journée mondiale de la paix (1968-2008). Fruit d'une intuition providentielle du pape Paul VI, poursuivie avec une grande conviction par mon vénéré prédécesseur le pape Jean-Paul II, la célébration de cette Journée a permis à l'Eglise, au fil des années, de développer, à travers les messages publiés à cette occasion, une doctrine lumineuse en faveur de ce bien humain fondamental. A la lumière de ces célébrations significatives, j'invite tous les hommes et toutes les femmes à prendre une conscience plus claire de leur appartenance commune à l'unique famille humaine et à s'employer pour que la convivialité sur la terre soit toujours davantage le reflet de cette conviction, dont dépend l'instauration d'une paix véritable et durable. J'invite aussi les croyants à implorer Dieu inlassablement, pour qu'il accorde le grand don de la paix. Quant aux chrétiens, ils savent qu'ils peuvent se confier à l'intercession de Celle qui, étant la Mère du Fils de Dieu qui s'est fait chair pour le salut de l'humanité tout entière, est notre Mère à tous. A tous, j'offre mes vœux d'heureuse année nouvelle ! Notes de renvoi : 1- Cong.-œcum. Vat. II, Décret Nostra aetate, n.1. 2- Cf. Conc. ŒCUM. VAT. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 48. 3- Jean-Paul II, Exhort. apost. Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 40 : AAS 81 (1989), p. 469 : La Documentation catholique 86 (1989), p. 176. 4- Ibidem. 5- Conseil Pont. Justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, n.211. 6- CONC. ŒCUM. VAT. II, Décret Apostolicam actuositatem, n. Il. 7- Art. 16/3. 8- Conseil Pont. Pour la famille, Charte des droits de la famille (24 novembre t 983), Préambllie, A. : La documentation catholique, 80 (1983), p.1154.