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A la croisée des chemins
L'AVENIR DES RELATIONS ORIENT-OCCIDENT
Publié dans L'Expression le 23 - 10 - 2008

Il est temps d'actualiser et de mettre en oeuvre les principes au sujet du vivre-ensemble, du monothéisme, de la Thora, de l'Evangile et du Coran, révélation finale.
Il y a trop d'injustices, de violence et d'inégalités dans le monde. Des signes d'espérances, cependant, pointent à l'horizon. Hasard du calendrier, trois événements dont dépend, en partie, l'avenir du monde et les relations entre l'Occident et l'Orient ont lieu en ce début du mois de novembre 2008. Le premier est l'élection présidentielle américaine du 4 novembre. Comme le prévoient tous les sondages et analyses, si Barck Obama est élu, la situation politique mondiale, sans grandes illusions, peut cependant relativement changer, dans le sens du retour de la crédibilité des USA, retour de la force du droit et non point de la loi du plus fort. Le deuxième est la tenue des premiers Etats généraux de la culture en Méditerranée les 4 et 5 juin, à Marseille, dans le cadre de l'Union Pour la Méditerranée. Si ce projet d'Union, prolongement du processus de Barcelone, aboutira, de même la configuration du monde peut évoluer vers moins d'injustice et plus de respect du droit à la différence. Le troisième événement est la tenue à Rome ces 5 et 6 novembre, pour la première fois dans l'histoire du dialogue interreligieux, d'un Forum mondial islamo-catholique, une nouvelle structure de concertation pour faire face aux défis communs. Il faut empêcher que la logique folle du «choc des civilisations» et de l'islamophobie ne domine les relations internationales. Une initiative est venue renforcer le chemin du dialogue. Avec au départ «138» savants musulmans de quarante pays, de toutes écoles de pensée, a été prise l'initiative de s'adresser aux dignitaires religieux chrétiens du monde entier, catholiques, orthodoxes, protestants, anglicans, coptes, pour dire que le monde musulman est ouvert à la discussion.
Faire barrage à l'islamophobie
A ce jour, cinquante-huit réponses chrétiennes sont parvenues, toutes positives, émanant des dignitaires religieux chrétiens et personnalités scientifiques, orthodoxes, protestants, anglicans, coptes, d'Orient et d'Occident. Elles se composent, entre autres, de la réponse du pape Benoît XVI et son accord pour la tenue du premier Forum Mondial Islam - Catholicisme. Ce forum réunira vingt-quatre savants de premier plan des deux religions, qui débattront, à huis clos durant deux jours, puis le troisième jour face au public.
La presse internationale sera au rendez-vous. Les responsables d'Eglises chrétiennes et d'Universités aux USA et en Grande-Bretagne ont de même répondu. Une première réunion islamo-chrétienne internationale a eu lieu aux USA, juillet dernier, sur le rapport à autrui, et une autre aura lieu à Cambridge en Angleterre.
Des personnalités ont aussi répondu à la lettre, 300 intellectuels chrétiens ont signé une lettre-réponse publiée par le journal New-York Times. Le dialogue interreligieux et des civilisations est relancé. Comment cette initiative de coordination entre plus de 250 savants musulmans, pour faire barrage à l'islamophobie, au prétendu «choc des civilisations» et relancer le dialogue, a-t-elle commencé? Nous contacte de Jordanie, en septembre dernier, avant le mois de Ramadhan 2007, le responsable jordanien de la Maison royale pour la pensée musulmane, ahl al-Bayt, afin de transmettre à l'occasion de l'Aïd al-Fitr al-Mubarak, une lettre signée au départ par 138 savants et dignitaires religieux musulmans représentant presque tous les pays musulmans et la quasi-totalité des rites et écoles, et adressée à tous les chefs des Eglises chrétiennes pour leur signifier la volonté de dialogue et de coexistence.
Certains peuvent dirent que les rencontres interreligieuses sont tactiques, coupées du réel, et que des élites se satisfont de beaux gestes et de bonnes paroles. Pourtant, dans le monde entier, sur le terrain de la vie de tous les jours, il se passe des expériences où l'amitié n'est pas un vain mot.
Les êtres de bonne foi considèrent qu'il est urgent, aujourd'hui où l'humanité est entrée dans une difficile période de l'Histoire, de se remémorer les liens et de dialoguer, pour que la paix et la justice prévalent.
Contrairement aux courants qui considèrent que le dialogue n'est pas possible aujourd'hui, du fait que l'amère réalité est celle des agressions et des hégémonies, il s'avère au contraire vital. Car il n'y a pas d'alternative pour changer, de manière concrète, la situation injuste, corriger l'image déformée des musulmans et partant, contrecarrer l'islamophobie et toutes les formes d'intolérance. Dans ce cadre, la solution juste, équitable et définitive de la situation en Palestine reste au coeur des enjeux.
L'avenir du monde
C'est aussi par l'autocritique, en corrigeant les dérives propres à chaque société, qu'il y aura un espoir de gagner en crédibilité et préparer l'avenir. Des divergences de vision subsistent entre les religions, mais seul le dialogue est à même de les transformer en richesses et non point en sujets de confrontations. Nul n'a le monopole de la vérité, même si chacun croit en détenir la dimension parfaite. Le dialogue n'a pas pour but de faire diversion, de justifier des situations intolérables, de consoler, ou faire oublier les rapports de force, ni de convertir. Mais premièrement, apprendre à se connaître. Deuxièmement, échanger, en vue d'aboutir à des normes communes, universelles. Troisièmement, agir ensemble dans le monde pour le bien. Interconnaissance, parole commune et émulation, trois objectifs fondés sur le respect du droit à la différence et la nécessité du vivre-ensemble.
Il est temps d'actualiser et de mettre en oeuvre les principes au sujet du vivre- ensemble, du monothéisme, de la Thora, de l'Evangile et du Coran, révélation finale, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui unissent et de penser les différences. Il y a, sur certains aspects, des principes divergents et des lectures différentes. Il faut les appréhender comme richesses et mystère. Une parole commune, entre vous et nous, est le titre de la lettre, inspiré d'un verset du Coran. On se demandait, parfois, en Europe, si les musulmans «font autant d'effort pour connaître l'autre et se faire connaître». Cette lettre est un acte significatif d'ouverture, car il s'agit de l'avenir du monde. Elle commence par faire un constat: «Musulmans et chrétiens constituent ensemble plus de la moitié de la population mondiale. Sans la paix et la justice entre ces communautés religieuses, il ne peut pas y avoir de paix significative dans le monde. L'avenir du monde dépend de la paix entre musulmans et chrétiens.» Puis elle rappelle deux principes cardinaux communs: «La base de cette compréhension mutuelle existe déjà. Elle fait partie des principes qui sont les fondations des deux religions: l'amour du Dieu Unique, et l'amour du prochain. Ces principes sont énoncés dans les textes sacrés de l'islam et du christianisme.» Sur la nécessité d'aimer son prochain, le Prophète Muhammad (sur lui la Paix et les bénédictions divines) a dit: «Aucun d'entre vous n'est croyant tant que vous n'aimerez pas pour votre prochain ce que vous aimez pour vous-mêmes.» La lettre démontre que pour l'Islam, l'amour de Dieu et du prochain dans la vigilance, sont aussi des valeurs fondamentales. Reste pour tous à réduire l'écart entre la théorie et la pratique.
Ensuite la lettre explique que le Coran exhorte à l'entente: «Dans le Saint Coran, Dieu le Très-Haut enjoint les musulmans de lancer l'appel suivant: Dis: «Ô gens des Ecritures! Elevez-vous à une parole commune entre vous et nous, à savoir de n'adorer que Dieu Seul, de ne rien Lui associer et de ne pas nous prendre les uns les autres pour des maîtres en dehors de Dieu.» La notion de «Parole» qui est citée plus de soixante-dix fois, signifie aussi raisonner. Nul n'a le monopole de la raison. Puis elle explique le credo central de l'islam qui consiste en deux témoignages de foi ou Shahadah, qui affirment: «Il n'y a de dieu que Dieu, Muhammad est l'envoyé de Dieu.» Ces deux témoignages sont la clef libératrice de l'islam. Celui ou celle qui répond à l'appel, les prononce est un musulman. D'autre part, le Prophète a dit: «La meilleure invocation est: il n'y a de dieu que Dieu- C'est La meilleure chose que tous les Prophètes ont dite.» C'est une attitude raisonnable de refus des idoles.
La culture du dialogue
Avec l'initiative «Venez à une parole commune», c'est une nouvelle étape du dialogue qui s'ouvre. Reste à mesurer et multiplier l'impact sur les populations et la jeunesse. Car il est certain qu'il reste partout beaucoup à faire, en particulier créer ou renforcer la «culture du dialogue». Ce nouveau dialogue, qui s'appuie autant sur les questions de théologies que sociales, démontre que, malgré des appréhensions, une prise de conscience des enjeux est partagée. La volonté pour poursuivre le dialogue est un signe prometteur, surtout à cause des préjugés et des difficultés de notre temps. D'autant que les religions sont souvent abusivement mêlées aux désordres du monde alors qu'ils ont des causes politiques.
«La parole commune» n'est pas un voeu pieux. La lettre n'est pas muette sur les sujets difficiles, elle met au centre de sa démonstration le principe cardinal «pas de contrainte en religion».
Dans tous les cas de figure, «Venez à une Parole commune», aujourd'hui signé par plus de deux cent cinquante savants musulmans, est un acte d'ouverture. La leçon à retenir de cette lettre, théologique, réside dans le fait que l'ignorance est une des causes des problèmes. L'interconnaissance est décisive pour tenter de changer le monde pour plus de justice.
Il n'y aura pas de paix et justice sans connaissance. Nul n'expliquera à la place des musulmans l'Islam, cette belle religion, méconnue. L'élite doit assumer ses responsabilités, avec vigilance, afin que l'autre cesse de pratiquer l'amalgame et que dans nos sociétés, on éduque et cultive afin qu'on arrête de prêter le flanc.


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