Comme une rivière qui coule vers sa mer, une prose éclatante de couleurs se noie dans l'ordinaire. Onze nouvelles qui se présentent comme autant de toiles abstraites. Yamilé Ghebalou-Haraoui, l'âme enfiévrée de poésie, déroule un nuancier de couleurs flamboyantes. Les thèmes sont variables, mais tournent principalement autour des femmes, de leurs vécus, de leurs pensées… Dans ce recueil chargé de fragrances, l'auteur s'attarde particulièrement sur les fleurs : lys, jasmin, glycines… Si présentes et si bien exprimées qu'on peut humer leur parfum au détour de chaque page. Le rosier rayonne de beauté. Sous la rosée matinale ou à la douce lumière du crépuscule, il s'étend et prend vie dans Grenade, la nouvelle qui a donné son nom au recueil, et tend l'oreille aux murmures d'Abdellah dans les magnifiques jardins d'un palais. Le personnage s'adresse à ce rosier aux odeurs enivrantes comme on parle à l'Absolu. Il personnifie la beauté céleste, ou peut-être le désir de vivre, le renouvellement… « L'empreinte du beau ne peut s'effacer ‘‘et elle renaît'' toujours à chaque printemps comme toi rosier, aussi fugace et aussi persistante ». Abdellah se souvient de ses femmes, épouses et concubines, chavirantes de beauté, fidèle ou non, mais qui, toutes, ont accepté de partir, même à contrecœur. C'était à la veille d'un drame. Et on imagine bien la chute de sa ville. D'un verbe léger mais lourd de sens, Yamilé Ghebalou-Haraoui étend les souvenirs de ses personnages. Pour ces derniers, les objets du quotidien prennent vie dans Les choses. Le silence devient confortable et tumultueux dans Renaissance, lorsque le bord du monde est atteint. Dans Temps végétale, un arbre centenaire raconte sa vue et les gens qui, génération après génération, l'aimaient et le respectaient ou d'autres qui ont arraché et détruit ce qui a été planté par leurs parents. L'arbre les craint et parfois, rien ne le rassure. Pas même les paroles du temps qui lui dit : « le temps pur, c'est toi. Mais nul ne te voit ainsi. Les yeux de l'habitude ne peuvent voir la primordialité des arbres et leur lent voyage de témoins. » Si la solitude s'insinue dans les moindres interstices de ce recueil, les personnages ne semblent pas pour autant décidés à céder à l'incertitude. L'auteur leur prête un peu de mélancolie, mais jamais de désespoir. La nature reprend toujours ses droits. L'espoir est toujours enfoui quelque part, dans un regard, un souffle de vent, la blancheur d'un lys, ou la flamboyance d'une rose. La vie, au fond, ne cède jamais à rien, si ce n'est à la mort, un cheminement naturel autant qu'un passage essentiel au renouvellement. Avec la plume de Yamilé Ghebalou-Haraoui, le tragique revêt souvent un doux éclat. Son écriture sensible cède volontiers au lyrisme. L'ordinaire est relaté comme un long poème saccadé. A chaque mot sa valeur, mais à tous les mots un millier de portées. Onze nouvelles qu'on peut interpréter, au final, de différentes manières. Le lecteur, selon sa sensibilité, son vécu et sa volonté, les lira dans sa langue, intime et intraduisible… C'est ainsi que tout peut prendre un sens.