Le taux de pauvreté en Algérie ne serait que de 5%, déclarait hier le ministre de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbas. A la bonne heure ! Notre ministre, qui prend, assez souvent, à rebrousse-poil l'opinion publique dans ses bilans démesurément optimistes, vient de signifier une nouvelle fois que tout est bien et tout est beau en Algérie comme dans le meilleur des mondes… Ainsi donc, le taux de pauvreté a enregistré, d'après lui, une baisse « pour s'établir à 5% actuellement ». C'était hier en marge d'une journée récréative organisée par l'hôtel Safir-Mazafran au profit des enfants orphelins et handicapés pris en charge dans les centres relevant de son ministère. « Le taux de pauvreté en Algérie est passé de 12,8% en 2000 à 5% actuellement », indique Ould Abbas. Comprendre que depuis l'avènement du président Bouteflika, des bataillons d'Algériens ont été tirés des rets de la misère. « La bonne » nouvelle aurait pu booster le moral national en berne n'était que la pauvreté n'a même plus besoin d'exercice statistiques et autres bilans de centres « spécialisés » pour être appréciée à sa juste ampleur. Elle est à vue d'œil dans tous les coins et recoins de l'Algérie d'en bas martyrisée par l'incroyable érosion du pouvoir d'achat. Mais le verdict officiel de Ould Abbas revêt un caractère éminemment politique. En plein battage médiatique sur un controversé troisième mandat pour Bouteflika via une révision de la Constitution, il n'est certainement pas de bon ton de mettre le doigt sur la plaie de la pauvreté en l'occurrence. La modus operandi pour faire avaler la pilule du troisième mandat passe inévitablement par la gymnastique des chiffres pour afficher un tableau de bord clinquant à même de convaincre les plus récalcitrants sur le bilan présidentiel de Bouteflika. La politique des chiffres Il est en effet difficile de trouver des Algériens, définitivement désabusés, qui prendraient pour argent comptant les curieux calculs du ministre de la Solidarité nationale. Ses déplacements incessants dans les quatre coins du pays pour aller secourir, sous le label « Tadhamoun », des populations en détresse sociale est du reste un signe qui ne trompe pas sur l'étendue géométrique et démographique de ces Algériens qui ne mangent pas forcément à leur faim. Par quelle alchimie le ministre a pu rabaisser le taux de pauvreté dans un pays où l'aliment, résiduel, de base qu'est la pomme de terre caracole à 45 DA ! Le ministre n'en donne aucune indication ni explication. La nouvelle ne vaut après tout que par son effet d'annonce. La preuve ? Ould Abbas précise tout de suite après que le nombre des communes « très pauvres » est estimé à 46 à l'échelle nationale. Quid alors des communes qui sont simplement pauvres si tant est que l'on devrait se fier à ses chiffres ? Il faut rappeler dans ce registre que le même ministre affirmait, il y a quelques mois, que la pauvreté était « éradiquée en Algérie ». En octobre 2005, dans un exercice sémantique dont lui-même connaît le secret, il avait asséné « qu'en Algérie, il n'existe pas de pauvres, mais des nécessiteux ». Pour le ministre, les instruments des instances internationales dont les rapports sont souvent accablants « sont dépassés ». Et pour cause, le rapport 2004, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) soulignait que « 20% d'Algériens sont pauvres ». Quant à l'auguste Office national des statistiques (ONS), ce genre de chiffres sont trop politiques pour êtres rendus publics. Depuis 1995, année où cet organisme étatique avait rendu publique une étude en collaboration avec la Banque mondiale, qui situait à environ 3,5 millions d'Algériens vivant dans la pauvreté, l'office s'est recentré sur les… accidents de la circulation. Cela étant dit, notre ministre ne s'empêche pas de lancer, « dans les prochaines semaines », une commission nationale chargée de l'élaboration d'une carte sociale définissant les poches de pauvreté au niveau national. Comme quoi, les 5% annoncés hier, c'était juste pour rire… de la misère des autres.