Leur voix est encore faible, mais le camp des opposants au projet attribué au chef de l'Etat de réviser la Constitution pour prolonger à l'infini les mandats présidentiels tente de s'organiser. Les initiateurs de la pétition intitulée « L'heure est à l'application de la Constitution, non à sa révision », publiée dans les journaux et sur internet, prennent attache avec des responsables de partis et des personnalités. « Nous voulons rencontrer les partis et les personnalités qui ne se sont pas prononcés pour le projet de la révision de la Constitution ou y sont hostiles », précise un des animateurs de l'Initiative civique pour le respect de la Constitution (ICRC). Selon lui, il s'agit d'expliquer le contenu et les objectifs de l'initiative politique. Hier, le groupe a été reçu par Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement et candidat à la présidentielle de 1999. Ahmed Benbitour et Mokdad Sifi, anciens chefs du gouvernement également, ont eu des discussions avec des membres de l'ICRC. Ahmed Benbitour, qui a signé l'appel pour le respect de la Constitution, a affirmé, selon un communiqué de l'initiative, sa disponibilité à contribuer au succès de la démarche. « Il a émis le vœu de voir se multiplier les initiatives et de pouvoir les fédérer en une seule et grande initiative ‘‘d'endiguement'' et de ‘‘résistance patriotique''. L'heure n'est pas aux ‘‘calculs de personnes ou de partis'', mais au rassemblement et à la synergie des efforts, a-t-il dit », est-il indiqué dans le communiqué. Pour rappel, Ahmed Benbitour a démissionné de son poste de chef du gouvernement en 2001 pour protester contre les méthodes de travail du président Abdelaziz Bouteflika. Mokdad Sifi, de son côté, a déclaré partager « largement l'analyse des initiateurs de l'appel, dans lequel il trouve une expression objective du grand malaise que vit le pays, un élan nouveau contre la tétanisation de la vie politique et les dérives du pouvoir, et un moyen démocratique de réhabilitation du droit à l'expression libre contre la tentation du pouvoir personnel ». Au siège du FFS, une délégation de l'initiative a rencontré Karim Tabbou, premier secrétaire du parti. M. Tabbou a déclaré, selon un communiqué de l'initiative, que le FFS approuve les principes contenus dans l'appel et qu'il entend agir en ce sens dans un cadre politique qui est le sien. « Il a affirmé qu'il serait favorable à une convergence des forces politiques qui travaillent au respect de l'Etat de droit, à la suprématie de la loi et à la stricte soumission des dirigeants aux limites de la loi », est-il précisé. L'élite intellectuelle, principale cible Même rencontre au siège du RCD. Saïd Sadi s'est dit en accord avec l'initiative au plan des principes, même s'il ne rejette pas le projet de révision constitutionnelle. « La démarche du RCD étant de conditionner toutes les étapes du processus électoral, en amont et en aval, et à commencer par la révision constitutionnelle elle-même, par le contrôle et la surveillance d'observateurs internationaux ‘‘crédibles et qualifiés'' », est-il noté dans le communiqué. Les délégués de l'ICRC ont déclaré à leurs interlocuteurs que l'Algérie souffre du non-respect de la Constitution et des lois, notamment de la part du pouvoir, et ont souligné « leur refus de voir les dirigeants du pays ignorer la loi, et la changer lorsqu'elle constitue un écueil à leur pouvoir autoritaire ». Dans les prochains jours, les animateurs de l'initiative envisagent de rencontrer les responsables du Front national algérien (FNA) et du Parti des travailleurs (PT). Ils programment également de discuter avec les responsables d'organisations nationales et des médias. « En gros, nous rencontrons une bonne audience dans le milieu que nous avons ciblé », précise un des initiateurs de l'appel. L'élite intellectuelle (artistes, universitaires, journalistes, écrivains, chercheurs, avocat, etc.) est la principale cible de l'ICRC. Jusqu'à hier, 500 personnes ont signé l'appel qui peut être lu sur le site créé à cet effet : http://www.respecterlaconstitution.com. « Nous voulons provoquer une débat public sur les conséquences de la révision de la Constitution dans un climat de fermeture politique », indique-t-on. L'initiative civique, selon ses animateurs, est ouverte au sens où elle n'est ni le reflet d'un combat partisan ni celui d'une personne isolée. « Ses actions futures accompagneront et s'inscriront dans le sens de toute autre démarche d'une organisation, d'un parti ou d'une personne, qui rejoindrait son analyse de la situation politique du pays et des moyens d'y remédier. Etant entendu que le principal dénominateur commun devra être le rejet d'une révision de la Constitution qui irait vers plus de fermeture des champs politique et institutionnel », est-il souligné. Dans l'appel lancé depuis plusieurs semaines, il est noté qu'en Algérie, il y a des voix qui sont contre le troisième mandat pour l'actuel président de la République au moment où la télévision d'Etat fait un tapage quotidien pour « appeler » Abdelaziz Bouteflika à revoir la Loi fondamentale et à succéder à lui-même. « L'article 74 de la Constitution ne limite-t-il pas le nombre de mandats présidentiels à deux ? L'Algérie de 2008, celle des harraga, de la cherté de la vie, du chômage et des kamikazes, n'a-t-elle pas d'autres priorités que d'organiser la poursuite du statu quo ? », se sont interrogés les initiateurs de l'appel, encore modestement relayé par les médias. Sur le site internet, une rubrique « Alerte » est prévue pour « recenser toutes les atteintes portées aux signataires de cette pétition ». « Nous espérons qu'elle restera vide », est-il noté. Le site web est aussi porteur d'un forum où plusieurs messages sont postés. « L'initiative d'une pétition à travers le net est judicieuse par ces temps de fermeture de l'expression. Je rêve que notre pays puisse proposer une alternance au pouvoir autre que celle nous donnant le choix entre le moins mauvais et le pire », écrit un internaute révolté.