L'Algérie retourne sa veste ». Le titre est du journal moscovite Kommersant, bien introduit dans le milieux des affaires en Russie qui rapporte la suspension de payement par Alger du contrat d'achat d'avions de combat Soukhoï. Jusque-là, on avait évoqué l'affaire des Mig et souligné que l'industrie d'armement russe avait établi, en janvier 2008, un accord avec le ministère de la Défense algérien pour restituer la moitié des chasseurs-bombardiers Mig considérés comme défectueux. L'annonce de la signature de l'accord avait été faite à la veille de la courte visite du président Abdelaziz Bouteflika à Moscou, le 19 février 2008. La compagnie aéronautique unifiée russe OAK, qui rassemble l'ensemble de l'industrie aéronautique russe, avait annoncé que 15 Mig 29, livrés à l'Algérie en 2006 et 2007, avaient été restitués au fabricant. Rosoboronexport, qui se charge de l'exportation de l'armement russe, et le Service fédéral pour la coopération militaire et technique (dirigé directement par le chef d'Etat russe) ont signé l'accord avec des responsables algériens. La signature de cet accord, d'importance stratégique, n'a pas été rendue publique à Alger. En Algérie, les contrats d'armement continuent à échapper à la règle de la transparence. Le président algérien, qui s'est déplacé en Russie pour régler ce litige, s'est contenté de parler de « grincements de dents » qu'il a imputés à la presse. Cependant, l'affaire semblait aller au-delà de « grincements de dents » puisqu'un mois après sa visite, les choses se corsent avec la décision de Moscou de surseoir à l'envoi de 28 chasseurs Soukhoï MKI à l'Algérie pour « retard de payement ». Cette décision est intervenue en réaction à la mesure prise par Alger d'annuler une commande de 34 chasseurs Mig 29 dont le montant global avoisine 1,5 milliard de dollars. Ce qui appelle au moins une question : à quoi a servi l'accord de janvier dernier ? Et quels ont été les efforts du président Bouteflika, chef suprême des armées, pour contenir le différend et éviter des retombées négatives sur le partenariat stratégique avec la Russie ? A première vue, le litige d'apparence commerciale s'est aggravé. Côté russe, on n'a pas hésité à accuser la France d'avoir « torpillé » d'une certaine manière le double contrat des Mig et des Soukhoï. « Les spécialistes qualifient unanimement les actions de l'Algérie de politiques et voient un lien évident entre ce renvoi (des 15 Mig, ndlr) et l'activité intense du président français Nicolas Sarkozy. La pression politique s'accompagne de la promotion des chasseurs français Rafale », a relevé le journal russe Gazeta. Pas de commentaires ni à Alger ni à Paris malgré l'insistance de ce lien qui est fait entre la remise en cause du marché des Mig et « les pressions » attribuées à la France. Analystes et experts ont fait évoquer à Moscou deux mesures que le nouveau locataire du Kremlin, Dimitri Medvedev, qui connaît parfaitement les complications économiques puisqu'il a eu à gérer le géant Gazprom, serait amené à prendre. La première : remettre en cause la décision prise en 2006 d'effacer la dette de 4,7 milliards de dollars. La raison est simple : l'effacement de la dette, principalement militaire, était conditionné par l'achat par l'Algérie de produits russes pour un montant équivalent. « La dette ne serait annulée que lorsque la partie algérienne aurait exécuté les contrats d'achat de produits industriels et de matériels de guerre russes », a indiqué un expert, cité par l'agence russe Ria Novosti. La deuxième est plus grave : interdire toute vente d'armement à l'Algérie pour une longue période. « Si le contrat avec l'Algérie n'est pas appliqué intégralement, les avions trouveront d'autres acheteurs. Il y a de nombreux clients potentiels, par exemple l'Inde, le Yémen, l'Erythrée, le Soudan, l'Egypte, la Syrie ou encore la Libye. Bref, la Russie ne subira pas de pertes importantes. En revanche, la réputation de l'Algérie sera compromise », a estimé Gazeta, citant des experts. L'armée algérienne, qui est équipée à 90% de matériel de guerre russe, pourra-t-elle s'adapter à la nouvelle donne au cas où les choses se compliqueraient ? Le cafouillage actuel ne sera dissipé que par des acteurs politiques qui doivent expliquer les grandes lignes de la stratégie de défense à venir de l'Algérie. Cela dit, Alger, avons-nous appris de bonnes sources, n'a fait aucune demande d'achat d'avions de combat français Rafale, un appareil qui a du mal à trouver preneur dans les marchés extérieurs. Au Maghreb, le Maroc a choisi les F16 américains au détriment des Rafale, et la Libye étudie, avec hésitation, l'offre de vente de 14 Rafale faite par le constructeur français Dassault aviation et réserve sa réponse pour juillet 2008. Si pour la revue spécialisée américaine Jane's, la Russie cherche à accentuer son influence au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à travers le marché de l'armement, les spécialistes détectent des difficultés de l'industrie militaire russe : pénurie de cadres qualifiés, vieillissement des capacités technologiques et baisse de la qualité du matériel de guerre fabriqué. « L'âge moyen des cadres hautement qualifiés des usines et des instituts de recherche s'approche de celui de la retraite. Les jeunes diplômés des instituts et des collèges techniques ne se pressent pas de rejoindre leurs rangs. Les raisons sont compréhensibles : les salaires bas et la promotion trop longue à venir. Sans cadres hautement qualifiés, sans rénovation du parc des machines-outils, il est impossible de fournir des produits de bonne qualité à l'armée russe et pour l'exportation. D'ailleurs, cela a déjà été confirmé par des réclamations provenant de l'Inde, de l'Algérie et d'autres pays », a relevé un expert cité par l'agence Ria Novosti. Selon lui, seuls 36% des entreprises militaires stratégiques sont solvables tandis que 23% d'entre elles sont au bord de la faillite. Reste que l'Etat russe a consacré pour les trois prochaines années presque 75 milliards d'euros pour soutenir l'industrie militaire.