L'exposition qui s'ouvre demain interpelle déjà les Libanais sur l'Algérie mais aussi sur leurs passé et présent. Depuis quelques jours, l'Algérie s'invite à Beyrouth. Fond rouge, lettres noires et deux photos noir et blanc, l'affiche de la nouvelle exposition de Michael von Graffenried, présente partout, se remarque dans les rues de la capitale libanaise. « Algérie : photographies d'une guerre sans images » sera inaugurée ce vendredi 4 avril au cœur de la Dhahiyeh, fief du Hezbollah. « Mais c'est la guerre de l'affichage ! », plaisante le photographe suisse en découvrant les milliers d'affiches collées aux quatre coins de Beyrouth. Puis il ajoute : « Ça fait des années que je voulais présenter mon travail sur l'Algérie au Liban. Je crois que c'est le bon moment. » Le Liban qui recherche désespérément un président depuis six mois n'a jamais été aussi près d'un nouveau conflit interne depuis la guerre civile (1975-1990). Dans le quartier de Harat Hreik, à deux pas du quartier général du leader Nasrallah, une trentaine de photos retraçant les violences qui ont ensanglanté l'Algérie durant les années 1990 sont déjà bien accrochées aux murs du Hangar, la salle qui accueille l'exposition jusqu'au 20 avril. Gilbert Hage, photographe libanais, les regarde attentivement : « Ça me replonge 18 ans en arrière, chuchote-t-il Ça me rappelle notre guerre, même si la violence en Algérie n'avait pas atteint les déchirures et les atrocités du conflit libanais. ». Reste que la douleur est la même, souligne Gilbert Hage. Les photos, déjà exposées en Algérie en 2000, sonnent comme autant d'avertissements. Elles rappellent qu'on ne plaisante pas avec la paix, la vie, la mort, les larmes et le sang. Et c'est exactement le but recherché par Monika Borgmann, commissaire de l'exposition et responsable d'Umam, un centre de documentation et de recherche sur le Liban et le Proche-Orient, qui affirme : « Ces images soulignent l'universalité de la violence et la complexité des conflits, même si le contexte algérien est bien différent de la situation inextricable du Liban. Nous voulons confronter nos visiteurs à leur propre passé. » Comme un plongeon dans leur histoire récente, mais aussi dans la mémoire collective. Pour les organisateurs de l'événement, c'est un enjeu capital pour l'avenir du pays du Cèdreu, toujours plus écartelé entre les intérêts divergents des différentes communautés. D'ailleurs, Monika Borgmann a mis en chantier une collecte de documents et témoignages sur la guerre civile libanaise. « Pour nous, c'est un passage obligé, insiste-t-elle. Pour comprendre le présent et préparer le futur, il ne faut pas enterrer le passé. Il faut le montrer, le documenter. » Pour elle qui s'inquiète de l'amnésie ambiante le souci est de faire connaître ce travail de mémoire qui n'a pas encore été fait au Liban. Michael von Graffenried montre ainsi le chemin avec son travail qui a duré dix ans, de 1991 à 2001. Avec son appareil panoramique, le photographe a capté les images d'une Algérie secouée par un conflit qui ne voulait pas dire son nom. On y voit notamment le bras d'un policier, assis dans une voiture, qui met en joue la rue. Il y a aussi le portrait d'une jeune fille, rescapée du massacre de Bentalha. Deux images qui réveillent les démons qui rongent encore la société libanaise, alors qu'une ligne de front s'est installée dans les têtes depuis l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. « La photo du policier tendant son bras me parle, explique Lokman Slim, metteur en scène et réalisateur. Elle me rappelle la guerre urbaine qu'a connue le Liban. » Il faut dire qu'au pays du Levant, les armes circulent librement et qu'à la moindre étincelle, elles risquent de reprendre la chanson du malheur, comme ce fut le cas en 2006 lors de la guerre entre Israël et le Hezbollah. Les traces du conflit sont omniprésentes dans la Dahieh, dont certains immeubles sont défigurés par les bombardements israéliens. Elles semblent d'ailleurs répondre aux images de Michael von Graffenried en rappelant que la paix ne tient parfois qu'à un fil. Comme les photos d'une exposition dans ce local, le hangar, dont le toit a été soufflé par une bombe israélienne, il y a deux ans. Depuis, le lieu a repris du service dans cette banlieue sud de Beyrouth où le Hezbollah règne en maître et où prendre une photo en pleine rue est formellement interdit. Guerre sans images n'a jamais aussi bien porté son nom que dans cette région où le parti chiite se barricade à l'abri des regards. Une guerre effectivement sans images. Le film « Guerre sans images : Algérie je sais que tu sais » (2002) sera présenté en marge de l'exposition. Dans ce documentaire, le réalisateur algérien Mohammed Soudani suit les traces de Michael von Graffenried qui part à la recherche des personnes qu'il a photographiées durant les années 1990. Plus d'info sur : www.umam-dr.org Patrick Vallélian, Sid Ahmed Hammouche