Pour les philosophes grecs, l'eau était un élément comme les autres, jusqu'à l'avènement de Lavoisier. Il est difficile d'affirmer avec certitude à qui revient la découverte, du fait que l'eau n'est pas un de ces éléments, incréés et impérissables, qui répondent aux apparences et aux états de la matière : l'eau, la terre, le feu et l'air. Cette théorie qui traversa les siècles montra ses limites au XVIIIe siècle, lorsque les chimistes commençaient à identifier les constituants fondamentaux du monde physique. Les éléments chimiques venaient alors s'ajouter aux quatre basiques. A cette époque, on admettait déjà l'existence de plusieurs sortes de « terres » et on commençait à douter de la propriété élémentaire de l'« air », mais pas de celle de l'eau. La chimie des airs avait une théorie fondée sur l'existence du phlogistique, substance nommée par le chimiste et médecin allemand, Georg Ernst Stahl (1659 - 1734) : « Le phlogistique est du feu fixé dans la matière et qui s'en échappe lors des combustions. » Etymologiquement, phlogiston (flogiston) est un adjectif grec signifiant inflammable. Il fut employé la première fois par Aristote pour désigner une combustion accompagnée de flammes. Le phlogistique était censé expliquer le principe du feu. Il s'agissait, en quelque sorte, d'un ingrédient contenu dans tous les corps combustibles : c'est ce phlogistique qui se dégageait sous l'effet de la chaleur. Selon cette théorie, lorsque l'air était saturé en phlogistique, la combustion cessait, ce qui expliquait pourquoi une bougie allumée et enfermée dans un récipient clos finissait par s'éteindre. C'est à l'âge de la « chimie pneumatique », consacrée essentiellement à la compréhension de l'air, qu'on perça les secrets de la nature de l'eau. En effet, Henry Cavendish (1731-1814), à l'instar de ses contemporains, s'intéressait à l'air et à sa composition. En 1781, Il se lança dans une série d'expériences pour tenter de comprendre le phénomène de combustion, il observa que l'air ordinaire est un mélange de deux substances, les airs déphlogistiqué (l'oxygène) et phlogistiqué (l'hydrogène). Quand le premier se combine au second, on obtient de l'eau ; pas suffisant pour conclure que l'eau est composée de deux éléments, « elle apparaît par simple combinaison entre l'eau sans phlogistique et le phlogistique contenu dans l'air inflammable ». Selon Alain Queruel(1), l'un des mérites de Lavoisier a été de se servir des découvertes des Anglais pour porter un coup fatal à la théorie du phlogistique : « La combustion n'était pas une libération de phlogistique mais plutôt une captation de gaz. » En 1782, Lavoisier obtient de l'eau grâce à la combustion d'hydrogène en présence d'oxygène. Il observa que leur poids total était sensiblement égal à celui de l'eau. Il proposa alors d'appeler l'air inflammable hydrogène, c'est-à-dire formateur d'eau. « Il est difficile de ne pas reconnaître, écrivait-il, que dans cette expérience de l'eau est produite artificiellement sans qu'elle préexiste. » En passant de la vapeur d'eau sur le fer incandescent, Lavoisier et J.-B. Meusnier (1755-1783) observent que l'eau se décompose en hydrogène et en oxygène. Ils recueillent ces deux gaz dans deux gazomètres différents. Puis dans un ballon de verre, les deux gaz sont réunis et enflammés à l'aide d'une étincelle électrique. Il constate que de l'eau est reformée. « Dans cette expérience, concluait-il, l'eau est donc décomposée en deux substances distinctes. L'eau n'est plus du tout un corps simple, et il est impropre de la considérer comme un élément, contrairement à ce que l'on pense depuis toujours. » C'est en février 1785, qu'il réalise dans une même expérience l'analyse puis la synthèse de l'eau. Devant la foule présente, son analyse dure trois jours. Note (1) Alain Queruel, De l'alchimie au Moyen Âge à la chimie moderne, ou D'Albert le Grand à Lavoisier. Variations sur le pouvoir et la science, éd. De Massanne, 2007