D'un point de vue géographique, on appelle ce mouvement la fuite des cerveaux. D'un point de vue biologique, c'est plutôt du trafic d'organes puisque des cerveaux sont aspirés d'ici pour être implantés là-bas. Régulièrement d'ailleurs, l'Etat algérien se rend compte que ses élites partent en masse, alors que tout le système fonctionne justement sur la marginalisation des élites par placement de l'incompétence autour des cercles de décideurs pour créer de l'inertie corruptrice. Pourquoi alors penser qu'en donnant un F2 à Bab Ezzouar et un salaire en dinars à un physicien nucléaire de Los Angeles, celui-ci va tout quitter pour rentrer au pays de Belkhadem ? Le cerveau n'est pas autonome. Il est soutenu par un corps, qui lui aussi a besoin de choses qu'il est allé chercher là-bas. Les mains ont besoin d'autre chose que de serrer un gigot d'agneau. La langue a besoin d'un minimum d'expression pour dire ce qui ne va pas. Les yeux ont besoin de voir autre chose que l'ENTV, les oreilles ont besoin d'une autre musique que le faux tube « ouhda thalita ». Les jambes ont besoin de voyager, le ventre autre chose que de la mayonnaise et le bas-ventre d'un peu de mixité pour assurer son équilibre hormonal. A l'inverse, au bas de l'échelle, les centaines de harraga et qui ne sont pas des cerveaux, partent aussi. Dans sa totale absence de vision, Abdelaziz Belkhadem leur a reproché de refuser du travail. C'est qu'il n'a pas encore compris que les harraga, comme les cerveaux, ne partent pas seulement pour un emploi. Ils quittent l'Algérie pour un pays sans voisins curieux et sans salons réservés aux familles. Ils quittent surtout un pays où mettre un short pour une fille, boire une bière pour un garçon, conduire un camion pour une mère ou entamer une grève contre sa misérable retraite pour un grand-père relèvent tous d'une atteinte aux valeurs nationales.