Ils sont quelque 45.000 cadres de haut niveau à travailler dans le pays d'accueil. Les «cerveaux» expatriés des trois pays maghrébins, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, tentent aujourd'hui leur chance afin de réussir dans leurs pays d'origine, qu'ils ont quittés il y a plusieurs années. C'est ce qui ressort d'une étude publiée par l'hebdomadaire international Jeune Afrique l'Intelligent dans sa dernière édition. L'étude donne le Maroc en première place concernant les expatriés, suivi de la Tunisie et de l'Algérie. En 2000, plus d'une personne qualifiée sur quatre quittait le Maroc, plaçant ainsi le Royaume devant la Tunisie, et bien loin devant l'Algérie, en matière de fuite de cerveaux, rappelle le magazine dans un article intitulé Le retour des cerveaux. Pour Jamal Belahrach, directeur de Manpower l'Afrique du Nord, cité par la publication, après la «grosse vague de départs en 2000, notamment avec le boom informatique, on assiste aujourd'hui au phénomène inverse». «De plus en plus de cadres cherchent à rentrer et c'est plutôt une bonne chose pour le pays», ajoute-t-il, faisant observer que «plus que le diplôme en lui-même, c'est l'expérience professionnelle à l'étranger qui est la plus prisée par les employeurs nationaux». Pour sa part, le directeur général d'une société française d'ingénierie informatique, spécialisée dans le support technique de haut niveau, relève que depuis son implantation au Maroc en 2003, celle-ci emploie une cinquantaine d'ingénieurs, dont près de 80% sont des Marocains résidant à l'étranger qui souhaitent intégrer la filiale. En fait, les milliers d'Algériens qui se sont installés à l'étranger sont partis au cours de vagues successives. La première date des années soixante-dix avec l'envoi de milliers de jeunes universitaires en formation à l'étranger, notamment en ex-Urss, en Pologne, aux Etats-Unis, en ex-Tchécoslovaquie, en France et en Grande-Bretagne. A la fin de leurs études, la majorité de ces diplômés ont élu domicile dans le pays hôte, y ont pris femme et s'y sont installés durablement et confortablement. La seconde vague a intéressé tous ceux qui ont été écoeurés par la tournure des événements politiques de 1991-92. D'un côté, les chefs islamistes quittaient en masse l'Algérie par peur de la répression qui s'était abattue sur les meneurs de l'insurrection, leurs soutiens idéologiques et l'«intelligentsia verte» en général. D'un autre côté, on assistait aussi à un départ massif des intellectuels et des démocrates non intéressés par le conflit ou carrément hostiles à la vague islamiste qui commençait à déferler sur le pays. Paradoxalement ces deux camps hostiles se retrouvent ensemble principalement à Paris, à Londres, en Suisse, à Bruxelles et dans les capitales des pays du Golfe. En troisième lieu, il y a lieu de noter aussi, le départ de jeunes, sans diplômes et sans perspectives, qui ont pu s'intégrer d'abord dans le pays hôte, avant de monter des petites affaires qui ont rapidement prospéré. Cette catégorie d'Algériens se trouve aussi bien au Québec qu'à Montréal, à Paris et à Londres. A la faveur de la conversion de leurs avoirs en dinars, ils sont en train de constituer en Algérie des PME dont certaines sont déjà performantes. Selon une information rapportée par Les Nouvelles d'Alsace il y a quelques mois, le groupe bancaire français Paribas-Algérie envisageait d'ouvrir une trentaine d'agences bancaires à travers le pays d'ici à 2008. Ce plan de développement repose sur le recrutement de centaines de cadres et pour cela la présence d'un personnel compétent est plus que nécessaire. «Les compétences sont rares et difficiles à trouver à cause de la dégradation de la qualité de l'enseignement dans les universités et l'anarchie qui règne sur le marché de l'emploi», estime-t-on au niveau de la filiale bancaire française. Face au manque de compétences locales, la filiale algérienne du groupe bancaire français tente tant bien que mal de «faire revenir au pays» des cadres exilés et des cadres algériens fraîchement sortis des universités occidentales. «Nous venons de prendre part au forum Rhône-Alpes qui est le premier Salon de recrutement en Europe. Nous essayons d'attirer des compétences algériennes installées à l'étranger», expliquait Abdelkader Achek-Youcef, responsable marketing à BNP Paribas-Algérie. La réforme du système éducatif initiée par le chef de l'Etat devrait pallier ce manque. Néanmoins, ces réformes ambitieuses exigent elles-mêmes un encadrement adéquat au vu de l'importance des chantiers en cours. En attendant, convaincre les cadres algériens installés à l'étranger de revenir travailler dans leur pays n'est pas une tâche facile en dépit des assurances avancées à maintes reprises par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui n'a cessé de jouer sur la fibre patriotique face aux conditions favorables prévalant ailleurs. Autrefois anecdotique, la fuite des compétences constitue aujourd'hui un véritable défi pour l'économie nationale. Les dégâts occasionnés par cette «décérébration» du pays, sont difficiles à évaluer. Le coût moyen pour former un diplômé serait d'environ 100.000 dollars. Selon certaines sources, cela représenterait une perte de plus de 40 milliards de dollars dans le cas de l'Algérie. Si l'on ajoute à cela la plus-value qu'aurait pu créer chaque individu en termes de progrès, d'intelligence et de richesses ; cette estimation s'écarte de la réalité. Il y a quelques années, cette fuite des cerveaux avait été expliquée par Abdelatif Benachenhou par des aspirations purement matérielles: «La fuite des cerveaux renvoie à un problème différent. Aucun individu ne quitte son pays de gaieté de coeur. Les aspirations des Algériens s'élèvent avec leur formation et leur qualification et, aussi, sous l'influence des médias. Or certains d'entre eux ne trouvent pas la place qui leur convient dans les entreprises algériennes telles qu'elles sont aujourd'hui organisées. Par conséquent, lorsque les Algériens se sentiront bien dans leurs universités, lorsque l'économie algérienne sera plus réactive, plus moderne, les Algériens reviendront. La réponse à donner n'est donc pas d'ordre administratif.» Le constat est alarmant : chaque année, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) enregistre quelque 20.000 départs d'Africains hautement qualifiés vers les pays du Nord, plus attractifs en matière de salaires et de niveau de vie. Un chiffre sous-évalué par rapport à celui que l'Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde) répertorie au sein de ses Etats membres: plus d'un million d'Africains titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Principaux domaines touchés: la santé et l'éducation, des secteurs clés en matière de développement durable. Alors que, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), deux tiers des pays du continent ne disposent pas du taux minimal de vingt médecins pour 100.000 habitants. Cette fuite des cerveaux coûte environ 4 milliards de dollars par an au continent, car, pour la compenser, gouvernements, entreprises d'Etat ou privées sont contraints de faire appel à des experts internationaux.