Livre de mémoire, Mille et un jours au Mechouar, de Mme Rafia Mazari, édité à Dar El Gharb, se laisse lire d'un trait. L'histoire narrée dans ce roman de 265 pages se déroule à la manière d'un conte, un conte de grand-mère, un conte de nana la prodigieuse tisseuse de mots. C'est prenant, car lié, dès les premières pages, à un territoire, un terroir et des personnages qui alternent sans accros entre mythes anciens et vérités pérennes. L'auteur ne fait pas de démonstration, ne formule pas d'hypothèses, ne se complique pas l'existence, Rafia structure ses souvenirs pour les coucher sur papier, mais ne structure pas son cœur. Il y a la liberté de dire ses sentiments, ses ressentis, ses appels, ses vagues à l'âme et ses tristesses. Il y a de la passion avant toute chose, de l'envie de dire autrement ses envies, avec des partis pris, le parti pris de l'amour de la ville du premier cri. Mechouar oscille entre imaginaire ennobli et réalité crue. Le livre s'insinue très souvent dans la chronique intimiste d'une époque, de quelques époques enveloppées (petites et grandes) dans la marche vers l'avant du pays des ancêtres. Il y a comme des allers retours sans permission, avec l'unique permission des sens, entre vie réelle concrète et vie symbolique, des retours d'écoutes cités en berceuses. Le récit existe dans l'inscription de quelques faits, mais l'épopée n'est jamais loin pour embellir la terre, la terre des aïeux. Dès le départ, on sent que l'auteur, Rafia Mazari, est captive, amoureuse des histoires qu'elle raconte, des histoires mises bout à bout pour raconter la grande histoire d'une ville qui a beaucoup donné à l'humanité. On suit pas à pas les personnages (Ayad, Sibey, Leylazed, Baya, Si Mouley, Soltana, Fares, Adrâ, L'bya, Saïd, Abdou) et d'autres qui impriment la chair et le sang aux sagas qui irriguent le conte, lui donnent ses moments de sincérité et ses élans nostalgiques, ses accélérations de l'histoire et ses légendes adossées au mystère, ses pudeurs et ses vacuités. De bout en bout hantée par l'héritage spirituel de ses ancêtres, Rafia retourne d'un pas respectueux sur les traces du souvenir enfoui dans la mémoire, ravive le souvenir jusqu'à l'adoration, revisite avec insistance des pans entiers de sa ville confondue avec sa vie, nous convie à une promenade subjective dans le Tlemcen de la légende tissée sur ses murailles. De temps en temps, l'auteur se retire du récit, s'éclipse pour laisser parler les ancêtres, sans intermédiaires et sans voiles, dans leur nudité. Ecrit entre confidences et reconnaissance, le roman livre par moment des commentaires précis sur des segments de l'histoire politique de cette ancienne perle du Maghreb, mais il ne faut pas croire que Mille et un jours au Mechouar réécrit l'histoire. On n'est pas dans l'officiel ; on est dans l'humain, dans sa sincérité et ses lacunes. L'approche de Mazari est une approche plus sensuelle, intime, une approche qui tente à l'envoûtement à travers des itinéraires croisés d'hommes et de femmes qui, à travers leurs actions, ont pérennisé l'histoire d'une ville, d'un mode de vie, d'une appartenance. Une histoire « …de la vie actuelle…au Colisée de l'Histoire, du Puritanisme d'un Terroir Authentique jusqu'aux confins du mirage sur des tapis que seule Nana savait tisser ».