Le colloque national sur l'art et l'artiste, organisé du 11 au 15 mai dernier par l'Institut régional de musique, s'est achevé avant-hier sur une note folklorique. Le folklore appartient à notre patrimoine culturel ; l'évoquer dans une manifestation culturelle comme celle-ci est sans doute une excellente idée pour montrer notre attachement aux valeurs ancestrales et à notre passé. Mais que l'évocation l'invitation des traditions à prendre une place capitale dans une rencontre qui aurait dû servir de tribune pour provoquer une réflexion et des débats autour de thèmes, comme l'art et l'artiste enlève à ce colloque sa dimension scientifique et culturelle et le renvoie au rang de simple festival local, comme on voit à certaines dates de l'année dans les régions où ces sortes de spectacles folkloriques demeurent de mise. Le colloque national sur l'art et l'artiste a choisi volontairement ou non ce virage à 90 degrés. Derbouka en tête, la procession de véhicules transportant une foule hétéroclite, parmi laquelle figuraient quelques artistes en herbe, s'est ébranlée, jeudi, en direction de ce lieu hautement touristique nommé Tikjda pour une large excursion. Ce qui démontre que les organisateurs de ce colloque ont les mains plus larges que les idées. Avec un peu de sagesse et de sérieux, on aurait pu arrêter les frais ce même jeudi et terminer le colloque mercredi en apothéose avec le formidable concert donné par l'Orchestre symphonique national. Ces mêmes organisateurs auraient été plus inspirés de consulter le dictionnaire avant d'appliquer le mot colloque. A tout le moins, ils auraient pris exemple sur le centre universitaire, qui a tenu en avril dernier une rencontre de ce genre, où furent débattues directement les méthodes critiques sur les textes littéraires. La vingtaine de communications faites par des professeurs renommés, les ateliers de travail où ces méthodes étaient expliquées, analysées, cataloguées, les importantes recommandations, qui servent depuis trois ans à alimenter une épaisse revue, auraient fait voir alors à ces mêmes organisateurs qu'ils sont des promoteurs de folklore et non d'idées. Aborder les questions relatives à l'art, en débattre doctement en confrontant les points de vue, les approches dans un souci d'enrichissement, voilà quelques-uns des objectifs de telles réunions. Le colloque terminé, les principales questions sur l'art et l'artiste demeurent entières, car à peine effleurées dans le brouhaha de la foule de visiteurs, essentiellement composée d'enfants et d'adolescents. Qu'est-ce que l'art ? L'œuvre d'art a-t-elle encore sa place dans un monde pétri de matérialisme ? Lit-on, regarde-t-on une pièce de théâtre ou une toile, écoute-t-on un morceau de musique classique ou un poème avec le même intérêt, le même ravissement qu'autrefois ? Et si ce n'est pas le cas, pourquoi ? Il est permis de douter que les deux courtes conférences données à l'Institut de musique n'aient abordé aucune de ces questions. Noyées dans cette ambiance résolument orientées vers le folklore, elles laissent d'autres questions pendantes, celles relatives aux différents courants qui ont sous-tendu le mouvement de l'art à travers toute son histoire et les grandes figures à l'origine de ce mouvement. La littérature, le théâtre, la musique, le cinéma, la peinture ont leur histoire et leurs critiques. Le laisser ignorer, c'est aller à contre-courant de telles rencontres. Plus grave : inviter les enfants (parfaitement, les enfants) à de telles réunions – de préférence aux adultes sous prétextes de faire leur éducation artistique (un des organisateurs l'a soutenu avec aplomb et d'ailleurs les activités déployées à cette occasion le prouvent) – est une aberration pour un colloque censé ne réunir que des spécialistes ayant chacun sa conception propre des questions qui se posent dans le domaine de l'art et qui ouvrant un large débat autour d'elles ne peuvent être suivies que par un public fort instruit. Que pense Mme la ministre d'un colloque où le public qui s'est le plus invité était composé d'enfants et où on s'est à coup sûr divertir, mais on a peu, très peu, réfléchi et débattu de sujets propres à l'art ? Peut-être le sachant, mettrait-elle moins d'empressement et d'enthousiasme à l'avenir à délier les cordons de sa bourse pour financer des « colloques » de nature plus folklorique que scientifique.