Tordu, décevant, buté et très mal filmé : tel est le film de l'Américain Steven Soderbegh intitulé Che. Il s'agit de la biographie de l'Argentino-Cubain Ernesto Che Guevara. Cannes (France) : De notre envoyé spécial Depuis belle lurette Che Guevara, qui rêvait d'une authentique révolution en Amérique latine en y consacrant tant de sacrifices, est l'objet d'un enjeu honteux, d'un acharnement médiatique et commercial phénoménal. On raconte tout et n'importe quoi sur sa vie. On vend ses photos, des tatouages, des gadgets, des vêtements avec son béret et son cigare mythiques... Le film de Soderbegh, qui dure 4h 30 plus qu' assommantes, a été tourné au Costa Rica. C'est proprement indigne de la part du réalisateur de réduire Che Guevara à un petit hors-la-loi, un bandit d'honneur, un obscur stratège de la guérilla… En occultant totalement sa pensée politique, ses nombreux écrits, son action concrète en tant que ministre cubain de l'Industrie, Soderbergh brouille les pistes. Au lieu de mettre en évidence la personnalité et l'action du Che, il en fait une énigme pour grande production hollywoodienne (le comble, c'est qu'à Cannes, le producteur du film fait courir le bruit que Bush va interdire ce film en Amérique, pratique courante pour attirer l'attention…). Le cinéma n'a pas encore trouvé le ton juste pour évoquer Che Guevara. On ressort donc très frustrés de cette projection et on se demande s'il était judicieux de compter sur un Américain pour faire un portrait honnête, pas déformé du personnage légendaire. Au contraire, Il Divo, film italien de Paolo Sorrentino, portrait fulgurant de Giulio Andreotti, constitue une bonne surprise. On sait comment Andreotti a évolué dans la sphère politique italienne pendant un demi-siècle. Aujourd'hui, sénateur à vie, Andreotti demeure une figure dominante, intrigante, férocement cynique. Il a été, durant sa très longue carrière, sept fois président du Conseil et vingt fois ministre (Affaires étrangères, Finances, Intérieur…) A Rome, il a tiré, pendant 50 ans, toutes les ficelles politiques et a suscité la peur autour de lui. Le titre Il Divo est inspiré de Julius César, surnommé « Il Divo Giulio » (le divin Julius). Avec une mise en scène puissante tout en mouvement et des retournements burlesques, voici l'étrange monde politique italien avec ses éclats, ses bagarres dans le Parlement, ses commotions. Au centre de toute cette pagaille, Andreotti lutte avec acharnement pour se maintenir au pouvoir. Il a été rattrapé par la justice pour ses liens supposés avec la mafia, puis acquitté et totalement blanchi. C'est une histoire tragique. Mais Sorrentino a fait un film avec un style de la dérision, de l'ironie, du burlesque romain. On rit tout le temps dans la salle. Comme pour dire « mieux vaut en rire qu'en pleurer ». Méchamment sifflé et hué à la séance de presse jeudi dernier, La Frontière de l'aube du cinéaste français Philippe Garrel, tourné en noir et blanc, est pourtant un régal, un très beau film plein de sensibilité. Garrel a emprunté son titre à Louis Aragon (Blanche ou L'oubli). Probablement inspiré par la fin tragique de Marylin Monroe, c'est l'histoire, brillamment mise en scène et photographiée avec le talent génial de William Lubchanski, d'une star blonde vivant seule à Paris, son mari est à Hollywood et la délaisse. Le photographe d'un quotidien prend rendez-vous pour faire d'elle des portraits. Tous deux vont dans un hôtel et n'en sortent quasiment plus. Ils ne veulent plus se quitter, jusqu'au suicide de la star qui s'enfonce dans la déprime et l'alcool et qui subira des électrochocs parce qu'on la croyait folle. Tragédie certes, mais pur enchantement visuel, artistique, musical… Le cinéma de Philippe Garrel, d'habitude projeté à Venise où il est bien reçu depuis des années, nous enchante, nous émeut, nous emporte. C'est triste si certains à Cannes ont préféré l'écrasante ringardise d'un has-been comme Soderbergh.