La campagne pour la présidentielle égyptienne a tourné lundi à la confrontation entre l'ancien chef des services secrets de Hosni Moubarak, Omar Souleimane, qui veut "sauver le pays du chaos", et les Frères musulmans, qui l'accusent de vouloir "voler la révolution". A six semaines du premier tour, les deux bords ont brutalement fait monter la tension autour de la présidence du plus peuplé des pays arabes, qui peine toujours à trouver sa voie plus d'un an après la chute du "raïs". "Les Egyptiens n'ont pas fait des sacrifices pour que le vice-président de Moubarak revienne", a déclaré Khairat al-Chater, candidat de la confrérie, en référence à M. Souleimane, qui fut aussi chef des services de renseignements du président déchu. "La candidature de Omar Souleimane est une humiliation pour la révolution", a-t-il affirmé dans sa première conférence de presse en tant que candidat, en menaçant de faire descendre dans la rue les troupes de la puissante confrérie. Les Frères musulmans, qui dominent déjà le Parlement, ont entrepris de se lancer à l'assaut de la présidence en mettant dans la course M. Chater, richissime homme d'affaires et haut dirigeant de la confrérie. Cette ambition, qui ouvre la perspective d'un contrôle des pouvoirs exécutif et législatif par les islamistes, a suscité de nombreuses critiques dans la classe politique mais aussi à l'intérieur-même de la confrérie. La domination islamiste sur la commission de rédaction de la constitution a aggravé ce malaise. Les Frères musulmans répondent à ces accusations en mettant en avant la légitimité démocratique que leur a donnée la récente élection législative, où leur vitrine politique, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), est arrivée en tête. M. Souleimane, dont la candidature surprise a également créé un choc, a choisi d'attaquer de front la confrérie, dont il fut un ennemi acharné du temps où il servait M. Moubarak. Les Frères "ont perdu beaucoup de leur popularité", a-t-il déclaré au journal gouvernemental Al-Akhbar. "Leur volonté d'accaparer tout et leurs discours inacceptables pour les gens ont contribué à ce changement dans l'opinion publique", a-t-il assuré. Il a également accusé les islamistes de chercher à le menacer pour le dissuader de maintenir sa candidature. Ancien membre du "premier cercle" de M. Moubarak, M. Souleimane, nommé vice-président quelques jours avant la chute de M. Moubarak, est régulièrement présenté comme le favori du Conseil militaire qui dirige aujourd'hui l'Egypte. Tout en démentant être le candidat de l'armée et vouloir rétablir l'ancien système, il a énoncé un programme pour "sauver le pays du chaos" qui règne selon lui depuis un an, centré sur la restauration de la sécurité, des investissements et d'un régime présidentiel fort. Derrière les joutes verbales, les deux camps poursuivent des manoeuvres politico-judiciaires pour faire invalider le candidat adverse. La candidature de M. Chater, qui pourrait être annulée au motif d'une peine de prison prononcée sous M. Moubarak, a conduit la confrérie à présenter in extremis une candidature supplémentaire, celle du président du PLJ, Mohammed Morsi. Le Parlement quant à lui a commencé d'étudier un projet de loi présenté par un député islamiste, qui aboutirait à rendre illégale toute candidature d'un ancien du régime Moubarak. La commission électorale doit se réunir du 13 au 15 avril pour se pencher sur les dossiers des 23 candidatures enregistrées. Les candidats rejetés auront 48 heures pour présenter un recours. D'autres anciens de l'ère Moubarak figurent parmi les candidats, notamment son dernier Premier ministre, Ahmad Chafiq, et l'ancien chef de la Ligue arabe et ex-ministre des Affaires étrangères Amr Moussa. On trouve aussi un ex-dirigeant des Frères musulmans, Abdelmoneim Aboul Fotouh, et le fondamentaliste salafiste Hazem Abou Ismaïl. Ce dernier pourrait être disqualifié au motif de la double nationalité égypto-américaine de sa mère.