Fatima Ali, terrée chez elle, tente de protéger ses enfants qui sursautent à chaque explosion. Dehors, son mari a pris les armes. Comme eux, de nombreuses familles à Tripoli (Liban) subissent les combats confessionnels meurtriers sur fond de crise politique chez le voisin syrien. Zeinab, leur fille de quatre ans, a 40 degrés de fièvre mais aucun médecin ne peut venir la soigner à cause des tireurs embusqués et il n'y a plus ni eau ni électricité. "J'ai vraiment très peur, j'ai mal au ventre, à la tête, je tremble. On ne peut pas jouer et à chaque fois qu'un bombe explose, je hurle", raconte sa grande soeur Aïcha, 11 ans, le regard effrayé derrière ses lunettes. Fatima Ali et sa famille vivent à Bab el-Tebbaneh, un quartier pauvre en majorité sunnite et hostile au régime syrien. Depuis samedi soir, des hommes armés de ce quartier affrontent leur rival historique: Jabal Mohsen, quartier alaouite et sympathisant du régime de Bachar al-Assad. Ces combats ont déjà fait cinq morts et 47 blessées dans la ville côtière, où les heurts confessionnels sont fréquents. L'arrestation d'un jeune islamiste, Chadi al-Mawalawi, qui se dit simple sympathisant de la révolte en Syrie mais que les autorités accusent de "lien avec une organisation terroriste", a mis le feu aux poudres samedi. Il a été inculpé lundi par la justice mais ses partisans, qui organisent un sit-in depuis samedi, ont prévenu qu'ils maintiendraient leur mobilisation s'il n'était pas libéré. Et depuis, les tirs ne s'arrêtent pas. Ali Fidda, un responsable alaouite local dit craindre le pire. "Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Qu'avons-nous à faire avec l'arrestation de cet homme?", s'interroge-t-il. "Tous les islamistes extrémistes se sont ligués contre nous (...) nous redoutons que cela n'empire". Abdellatif Saleh, du Parti démocratique arabe, à majorité alaouite, a affirmé à une télévision libanaise que "des terroristes et des mercenaires échappés de Syrie combattaient à Jabal Mohsen". Il a au contraire déclaré que les habitants de ce quartier étaient "connus pour leur retenue" et qu'ils ne répliquaient pas aux tirs. Plusieurs dirigeants politiques ont lancé des appels au calme afin de mettre fin à ces combats confessionnels, fréquents dans la principale ville du nord de ce petit pays longtemps sous tutelle politique et militaire de la Syrie voisine. A Bab el-Tebbaneh, Jawhar Boudeif, 45 ans, exhibe fièrement les trois grenades qu'il vient d'acheter. Il affirme mener le "jihad" et il a offert une kalashnikov à son fils de 18 ans pour qu'il l'accompagne. Il dit s'armer "pour défendre (sa) maison, (sa) rue, et (sa) communauté". Gharib al-Sham, un militant islamiste en tenue militaire affirme combattre pour "dire aux révolutionnaires en Syrie: vous n'êtes pas seuls". Son fusil automatique sous le bras, il se lance dans une diatribe adressée à l'armée libanaise: "Pourquoi tuez-vous vos frères? Vous devriez être à nos côtés plutôt qu'avec le régime syrien". Ironie de l'histoire, à Tripoli la ligne de front se situe sur la rue de Syrie. Sur les murs, des graffitis s'étalent: "La liberté pour toujours" proclame l'un d'eux, "Celui qui fait gagner les sunnites ira au paradis", assure un autre. Ailleurs, des slogans s'en prennent au régime syrien. Autour, les rues sont vides, toutes les échoppes ont baissé leur rideau. Nidal Jabaleddin, qui tient un magasin d'informatique, dit avoir "perdu son gagne pain avec ces combats". "Tripoli est au coeur des problèmes. Pendant que les ministres discutent à Beyrouth, nous payons le prix", lâche-t-il, amer. "Si les Syriens le voulaient, nous trouverions une solution, mais ils veulent exporter leur conflit au Liban", assure-t-il. Sur la rue de Syrie, un homme est assis. Il préfère ne pas donner son nom. "Nous espérons que le régime en Syrie tombera bientôt, c'est le seul moyen de nous soulager. Mais pour y arriver, beaucoup de sang va couler", prédit-il.