Enlèvements, tortures, meurtres: les journalistes syriens sont la cible de jihadistes liés à Al-Qaïda dans le nord du pays en guerre, des pratiques rappelant selon eux celles du régime et qui ont poussé certains à fuir à l'étranger. Les combattants de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) "ont commencé par kidnapper des journalistes étrangers", explique un reporter réfugié en Turquie qui a demandé à ce qu'on l'appelle Abid car il dit avoir été condamné à mort par ce groupe. Ensuite, "ils se sont mis à enlever des journalistes syriens" et maintenant ils "tuent des journalistes". La Syrie est considérée comme le pays le plus dangereux au monde pour la presse, avec plus de 60 journalistes tués depuis le début des violences en mars 2011, et 30 portés disparus (dont une moitié d'étrangers), selon le Committee to Protect Journalists (CPJ), basé aux Etats-Unis. Reporters sans Frontières (RSF) fait état de son côté de la mort de plus de 120 journalistes ou citoyens-journalistes et de l'arrestation de plus de 40. Et selon Sherif Mansour du CPJ, l'EIIL est devenu "la plus grande menace pour les journalistes en Syrie, avec des enlèvements et des meurtres". Ahmad Brimo, qui travaillait pour différentes publications à Alep (nord), a été enlevé mi-novembre chez lui par des jihadistes de ce groupe qui l'ont accusé d'être un espion à la solde des Etats-Unis. Emprisonné dans le sous-sol de leur quartier général, il a été libéré en janvier quand des rebelles en ont pris le contrôle. "J'ai été torturé physiquement seulement trois ou quatre fois, mais la torture psychologique a duré tout le temps", explique le reporter, en soulignant que cette détention lui rappelait les trois séjours qu'il a effectués dans les prisons d'Assad. "J'entendais constamment les autres prisonniers être torturés", ajoute Ahmad, lui aussi réfugié du côté turc de la frontière. Le nombre exact de reporters enlevés par l'EIIL reste incertain, le groupe jihadiste revendiquant rarement ce type d'actions et de nombreux médias préférant de ne pas médiatiser les enlèvements par peur de nuire aux négociations avec les ravisseurs. Mais de nombreux journalistes syriens disent avoir des amis ou collègues portés disparus, ajoutant qu'il est devenu impossible de travailler dans les régions où l'EIIL est présent. En raison des exactions de l'EIIL et de sa volonté d'hégémonie, plusieurs groupes rebelles ont lancé une offensive contre ce groupe début janvier, des combats qui ont fait près de 1.400 morts, selon une ONG syrienne.