Au cœur de la tourmente qui s'est emparée de la nouvelle Tunisie, divisée en deux blocs antagoniques, la disparation tragique de l'une des personnalités influentes du camp démocratique et laïc, viscéralement opposé à l'hégémonie des Frères musulmans au pouvoir a, non seulement enraciné une crise politique porteuse de chaos, mais, elle a, également, révélé les profondes divergences internes du parti dominant, clairement exprimées par le départ avec fracas du ministre de l'alternative technocratique, Hamadi Jebali. Elle a conforté la mainmise de Ghannouchi dictant le tempo et la voie à suivre. L'incontournable président, disposant de larges prérogatives, se mure dans la « légitimité des urnes » pourtant laminée par la montée de la contestation populaire arrivée à son paroxysme lors des manifestations de rue (près de 1,5 million de personnes) dénonçant le meurtre du dirigeant politique Belaïd Chokri. Il oppose, en vérité immuable, l'idée qu'« Ennahda est la colonne vertébrale de la Tunisie et la briser ou l'exclure porterait atteinte à l'unité nationale ». Le choix de la méthode de sortie de crise est donc de son fait : dans et pour Ennahda. A la proposition avortée de Jebali d'un « gouvernement de technocrates », Ghannouchi sollicite l'ancien ministre de l'Intérieur, Ali Larayedh, pour former, d'ici le 8 mars, un cabinet de coalition élargi qui ne cède en rien aux exigences formulées, y compris par ses deux alliés de gauche, pour la neutralité des ministères régaliens (Intérieur, Justice et Affaires étrangères). En pleine phase de consultations, Larayedh, qui recevait, hier dans la matinée, le chef du parti républicain, Ahmed Nejib Chebbi, après avoir vu, lundi soir, Beji Caïd Essebsi, ex-Premier ministre et chef du mouvement Nidaa Tounès, est rattrapé par la scandaleuse affaire Chokri. La piste de la « mouvance salafiste » est privilégiée. Tout en refusant d'évoquer l'éventuel commanditaire, le nouveau Premier ministre a annoncé l'identification du tueur qui reste néanmoins en fuite et l'arrestation de 4 suspects appartenant à un « courant religieux radical ». Des sources policières ont, cependant, indiqué que le présumé meurtrier et l'homme soupçonné d'avoir facilité sa fuite à moto ont été arrêtés. Mais la thèse salafiste n'a pas totalement convaincu le camp démocratique et, surtout, les proches de Chokri pointant un doigt accusateur sur Ennahda, taxé de laxisme, à l'égard des salafistes menant dans l'impunité des attentats sanglants dont le plus spectaculaire reste l'assaut mené contre l'ambassade des Etats-Unis, en septembre. « La responsabilité politique d'Ennahda est impliquée », a martelé Mme Belaïd, considérant que le parti au pouvoir est responsable de la sécurité des citoyens. L'ombre la LPR (Ligue de protection de la révolution), « protégée par le système » et versée dans l'intimidation et les attaques contre les opposants et les associations rivales, plane sur l'affaire de l'assassinat. Si la veuve Chokri a « immédiatement » exigé la dissolution des milices, revendiquée par « toute la société tunisienne », la manifestation de la vérité commande de savoir l'identité du commanditaire. « C'est beau de savoir qui a exécuté, mais pour moi c'est très important de savoir qui a commandé, comme cela a été fait, car c'est un crime très organisé », a-t-elle dit à la radio française Europe 1. A l'épreuve de la réalité, le Premier ministre, Larayedh, jugé par l'opposition particulièrement responsable de l'essor de la mouvance jihadiste, sera-t-il au diapason des attentes en matière de vérité et de justice ?