Le Premier ministre tunisien Hamadi Jebali a annoncé vendredi de nouvelles consultations lundi sur son initiative de former un gouvernement apolitique, reportant sine die la composition du nouveau cabinet et prolongeant la profonde crise politique dans le pays. "Il y a une évolution et des progrès sur tous les point soulevés (...) C'est pour cela que nous avons décidé de poursuivre les discussions lundi", a-t-il déclaré à la presse à l'issue de pourparlers avec les dirigeants des différents partis. Il a ainsi annulé sa décision de fixer à samedi la date limite pour l'annonce du gouvernement apolitique, malgré l'hostilité de son parti islamiste Ennahda au pouvoir, et n'a pas évoqué de nouvelle date après cet énième report. "Les délais sont importants mais le plus important est l'intérêt de la Tunisie et de trouver une solution pour le peuple", a expliqué M. Jebali. Jeudi, il avait annoncé qu'il démissionnerait samedi si la composition du gouvernement de technocrates qu'il appelle de ses vœux ne faisait pas le consensus, après une initiative qu'il avait lancée le jour de l'assassinat retentissant de l'opposant anti-islamiste de gauche Chokri Belaïd le 6 février. Son initiative a été rejetée par Ennahda qui propose en retour un cabinet alliant technocrates et figures politiques. Ce parti, dont M. Jebali est le numéro deux, organise d'ailleurs samedi une grande manifestation à Tunis pour défendre sa "légitimité" à diriger le pays comme il le fait depuis 14 mois. Les discussions de vendredi ont réuni les principaux chefs politiques, dont ceux de la coalition au pouvoir: Rached Ghannouchi pour Ennahda, Mustapha Ben Jaafar pour Ettakatol et Mohamed Abbou du Congrès pour la République (CPR), parti du président Moncef Marzouki. L'opposition y était notamment représentée par Béji Caïd Essebsi, chef de Nidaa Tounès, un parti centriste en plein essor, Néjib Chebbi, pour le Parti Républicain et Kamel Morjane, ex-ministre du président déchu Zine Al Abidine Ben Ali et chef du parti Moubadara. Jebali soutenu par l'opposition laïque Ennahda a fait bloc avec le CPR et deux autres petites formations pour s'opposer à un gouvernement sans personnalités politiques voulu par M. Jebali. Si les députés de ces mouvements restent solidaires de leurs directions, ils disposent d'une majorité suffisante pour censurer M. Jebali à l'Assemblée nationale constituante (ANC), composée de 217 sièges. Il leur suffit de réunir 109 votes hostiles pour le faire. M. Jebali peut se targuer du soutien de l'opposition laïque, des organisations syndicale et patronale ainsi que d'une large part de la société civile, pour qui un cabinet apolitique est la seule solution pour stabiliser le pays, deux ans après la révolution qui a renversé Ben Ali. Les proches de Chokri Belaïd, assassiné devant son domicile tunisois de trois balles tirées à bout portant, prévoient samedi deux cérémonies à sa mémoire, alors qu'aucune avancée dans l'enquête n'a été annoncée. L'une aura lieu dans le sud de Tunis, l'autre à Jendouba (nord-ouest). La famille Belaïd accuse Ennahda d'être responsable du meurtre de ce militant anti-islamiste virulent, ce que dément ce parti. Outre l'interminable crise politique, la rédaction de la Constitution est dans l'impasse, faute de compromis sur la nature du futur régime. M. Jebali a souligné que sa démarche visait aussi à accélérer ce travail pour organiser des élections au plus vite. Les conflits sociaux souvent violents se sont multipliés sur fond de misère et chômage, à l'origine de la révolution. Sans oublier l'essor d'une mouvance salafiste jihadiste qui déstabilise régulièrement le pays par des attaques.