En ce début de saison estivale, les flux d'information en rapport avec le dossier des activités d'espionnage des communications électroniques par le renseignement américain est, le moins que l'on puisse dire, bien riche avec de nouvelles révélations, des documents officiels du gouvernement américain, une action en justice contre la NSA ; mais, s'accordent à dire les observateurs, peu de choses ont bougé dans le fond, pour ne pas dire que la cadence de surveillance s'est même accélérée. Très attendu depuis les engagements pris par le président Obama de réformer le fonctionnement de la NSA, le rapport d'activités des systèmes d'écoute des communications électroniques ne fait état d'aucune amélioration sur ce front. Le bureau des renseignements US ou ODNI (Office of the Director of National Intelligence) vient ainsi de publier son premier rapport officiel, et il le fait de manière assez inhabituelle puisqu'il a mis le document sur son compte Tumblr. Le site zdnet.fr souligne que ce « rapport annonce que les écoutes hors sol US comptent pour l'année 2013 un total de 1144 « cibles » (rassemblées sous la dénomination FISA orders) », ajoutant qu'il est vraiment « très difficile d'évaluer ce que cela représente réellement » car, explique-t-il, le rapport de l'ODNI « précise que ces ‘‘cibles'' peuvent signifier autant un individu en particulier qu'une organisation, un groupe, un business ou même une puissance étrangère ». Sur un autre plan, le rapport officiel évoque le nombre de requêtes d'information envoyées aux entreprises dans le cadre de recherches effectuées par le FBI, soit « en 2013, 19.212 lettres ont donc été envoyées pour un total de 38.832 requêtes d'information ». Dans leur ensemble, ces informations recoupent de nouvelles révélations d'Edward Snowden, diffusées le 1er juillet dernier par le Washington Post, sur la base « des documents de justice datant de 2010 qui autorisaient la NSA à intercepter les communications dans une liste de pays jugés d'un intérêt valide pour le renseignement américain », croit savoir le site 01net.com qui précise que « ces activités d'espionnage sont autorisées par l'article dit 702 d'une loi votée en 2008 pour encadrer les interceptions de communications électroniques et téléphoniques de personnes étrangères que la NSA croit raisonnablement être à l'étranger ». L'autorisation accordée à la NSA touche près de 193 pays ainsi que le « Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'Union européenne et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) », selon le même site qui ajoute que les pays amis et alliés n'y font pas partie, à l'image de « la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ». Au moment où le bureau du renseignement américain s'adonne à cet exercice de transparence, la presse internationale accorde une place importante à de nouvelles informations faisant état d'un plan de suivi par l'agence du renseignement, la NSA, des activités de TOR (The Oinon Router), ou le routeur oignon, ce réseau d'anonymisation et de sécurisation de la navigation sur internet. Sur le site de l'encyclopédie en ligne Wikipedia, TOR est présenté comme « un réseau informatique superposé mondial et décentralisé, implémentation du principe de réseau mélangé (‘‘mix network''). Il est composé de routeurs organisés en couches, appelés nœuds de l'oignon, qui transmettent de manière anonyme des flux TCP. Le réseau Tor peut ainsi rendre anonymes tous les échanges internet basés sur le protocole de communication TCP ». En pratique, quand un internaute envoie une requête pour rechercher une adresse de connexion, ses informations de connexion transitent par divers points situés sur le réseau internet, ce qui équivaut à autant de couches de cryptages chiffrés. Avec un tel procédé technologique, l'intérêt « est double : la connexion est intraçable (on ne sait pas qui se connecte, et de quel ordinateur) et il est impossible, la plupart du temps, de voir le contenu de la discussion », selon le site du quotidien français lemonde.fr qui rapporte par ailleurs que ce réseau en couche est le fruit d'un financement « en partie par... l'administration américaine, qui y voit un outil d'aide aux activistes, dissidents ou journalistes dans des régimes répressifs pour contrecarrer la censure et protéger leur vie privée et celle de leurs sources, il a aussi été adopté par toutes sortes de criminels, notamment des groupes terroristes, ce qui explique en partie l'intérêt de la NSA ». Après avoir contribué donc à sa mise en place voilà que le renseignement américain se retourne contre le réseau TOR et décide de voir de plus près ce qui s'y passe. L'information est révélée cette semaine par une chaîne de télévision allemande, Das Erste, dans un document diffusé le 3 juillet, retraçant des pratiques à la limite de la légalité contre des utilisateurs, gestionnaires et volontaires de ce programme. Les informations de la chaîne allemande reprises par la presse internationale font état d'une surveillance appropriée et continue de nombreux points de transit, ou nœuds du réseau. Das Erste aurait ainsi divulgué la surveillance d'un point situé à Nuremberg, en Allemagne, ainsi que d'autres en Europe, mais également sur le sol américain. Pour conduire à bien cette enquête journalistique, la chaîne « a pu se procurer le code informatique du logiciel de la NSA XKeyscore, utilisé pour diverses opérations de surveillance, et ainsi en détailler le fonctionnement et ses cibles », selon lemonde.fr. Ce travail d'espionnage aurait également touché les mails envoyés par de nombreux activistes agissant dans des pays bloquant le réseau TOR, à l'instar de l'Iran et de la Chine, pour demander des listes de points de connexion sécurisés à ce réseau. Les journalistes de la chaîne allemande ont par ailleurs découvert que la NSA captait systématiquement les traces de tous ceux qui se connectent au réseau TOR ou visitent les sites de « Tails (The Amnesic Incognito Live System, un autre outil de protection de la vie privée) et de LinuxJournal (une publication spécialisée dans le système d'exploitation Linux) », ajoute le site du quotidien français qui souligne également que le plan de collecte de la NSA touche l'ensemble des « visites sur plusieurs sites proposant des solutions pour protéger sa vie privée, dont certains sont situés aux Etats-Unis (l'un d'entre eux est sur le campus du Massachusetts Institute of Technology (MIT), sur la côte est du pays) ». D'après les éléments de l'enquête menée par la télévision allemande, rien n'indique que le renseignement américain soit parvenu à toucher le cœur de la cible ou à déstabiliser le réseau TOR qui continuerait ainsi à assurer sécurité et confidentialité à ses utilisateurs. Le site lemonde.fr rapporte ces propos de l'un des développeurs de TOR, Roger Dingledine, interrogé par Das Erste : « Nous réfléchissons à la surveillance étatique depuis des années, à cause de notre travail dans des lieux où les journalistes sont menacés. L'anonymat conféré par TOR se fonde sur le grand nombre d'utilisateurs. Observer le trafic à un endroit précis du réseau, même central, ne suffit par à le casser. » L'ampleur et l'impact de ce nouveau déploiement technologique du renseignement américain ne sont pas totalement connus, mais l'affaire suscite quelques interrogations. D'abord sur l'origine de ces nouvelles fuites dont a pu bénéficier la chaîne de télévision allemande et qui, selon toute vraisemblance, ne peuvent pas être l'œuvre de Snowden. « D'où proviennent les informations qui ont alimenté le travail de Jacob Appelbaum, Aaron Gibson et Leif Ryge, les trois spécialistes qui ont travaillé sur ce sujet ? », s'interroge le site www.numerama.com, convaincu que dans le travail de la chaîne de télévision allemande, « un faisceau d'indices laisse à penser qu'il y aurait un autre Edward Snowden, qui agirait dans l'ombre ». Journaliste spécialisé en la matière, à la réputation établie, Cory Doctorow confirme le doute en s'appuyant sur les dires d'un expert qui, dit-il, n'a pas vu [cette information] dans les documents originaux de Snowden et en a vu d'autres qui ne paraissent pas provenir des éléments rapportés par Snowden ». Le site numerama.fr ajoute par ailleurs que le journal allemand Der Spiegel a déjà eu à traiter des informations de première main ne provenant pas d'Edward Snoden, tel ce « protocole d'accord long de six pages et couvert par le sceau du secret qui a révélé une coopération très étroite entre la NSA et le BND, le service de renseignement allemand ». L'autre interrogation largement partagée par de nombreux titres de la presse internationale à l'arsenal réglementaire américain qui fait, explique lemonde.fr, qu'en « théorie, la NSA ne peut pas collecter des données concernant des Américains » ajoutant que « dans le cas présent, plusieurs sites et utilisateurs américains ont directement été ciblés ». La chaîne allemande, qui a effectué le travail d'enquête, a tenté d'obtenir une réaction de la NSA, qui, comme d'habitude, s'est bornée à lui répondre qu'elle « collecte ce qu'elle est autorisée à collecter par la loi, concernant des cibles valides de surveillance, quel que soit le moyen technique employé par ces cibles ». Circulez....